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LES CÉSARS.

Voici donc que recommence, comme sous Messaline, une série de cruautés. Le jour même de ce mariage, qui dans les idées de la religion romaine passa pour un inceste et un présage sinistre, le jeune Silanus, fiancé d’Octavie, la fille de César, mais depuis long-temps persécuté par Agrippine qui voulait donner Octavie à son propre fils, rayé du sénat, dépouillé de la préture, accusé d’inceste avec sa sœur, se donna la mort, comme s’il eût attendu ce jour pour rendre Agrippine plus odieuse.

Bien d’autres périrent après lui. La magie, les sortiléges, l’emploi des charmes, des enchantemens, des oracles, superstitions universelles alors, étaient une accusation toujours commode et toujours croyable. Un Taurus périt pour avoir possédé une villa qu’Agrippine trouva à son gré. Elle avait les mêmes goûts que Messaline. Une Calpurnie fut exilée, parce que César l’avait trouvée belle. Malheur aux femmes qui avaient prétendu à l’hymen de Claude, qui avaient fait des sacrifices, consulté les astres, invoqué les magiciennes de Thrace pour y parvenir ! Le temps était venu pour elles d’expier leur échec par la mort. Ainsi périt, « pour des raisons de femme, » mulieribus ex causis, une Lépida, parente de tous les Césars, dangereuse pour Agrippine, belle, jeune, riche comme elle, comme elle impudique, déshonorée, violente ; en un mot, lui disputant tous ses avantages. Ainsi périt Lollia Paulina, coupable en outre d’une immense fortune ; son aïeul Lollius avait si bien pillé l’Asie, que, dans un souper assez modeste, sa petite-fille parut, ses cheveux, son front, ses oreilles, son cou, sa gorge, ses bras couverts d’émeraudes et de perles pour 40 millions de sesterces (7,750,000 fr.). Claude, qui se piquait d’une érudition puissante en fait de généalogie, déduisit fort bien au sénat celle de Lollia, et de là conclut à l’exil ; de toute sa fortune on ne laissa à la veuve de Caligula que 5 millions de sesterces (968,750 f.), et au bout de peu de temps, comme c’était la coutume, un tribun vint dans son exil lui commander de mourir.

Mais toutes ces vengeances n’empêchaient pas le peuple romain d’aimer Agrippine ; l’extérieur sévère de cette femme, son ambition même, lui plaisaient : ce qu’elle n’osait pas demander à Claude, tout le monde, peuple, sénat, affranchis, prétoriens, était prêt à le demander pour elle. Aussi triomphait-elle : non-seulement femme d’empereur, comme ses devancières, mais impératrice, chose inconnue aux Romains et sans nom dans leur langue, elle n’était point femme à jouir du pouvoir en cachette. Les pompes de la royauté