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LES CÉSARS.

ment de la vie publique : la censure fut la récompense des plus illustres consulaires, le dernier degré des honneurs, la suprême illustration des familles. Assis au Champ de Mars dans leurs chaises curules, entourés de leurs officiers et de leurs scribes, les censeurs faisaient, tous les cinq ans, comparaître Rome devant eux, avec ses ordres, ses tribus, ses gentes. Le peuple, rangé par classes et par centuries, était appelé par la voix du héraut à cet immense dénombrement ; chacun devait compte de sa fortune, compte de ses mœurs. Les censeurs remaniaient alors toute la république, selon les besoins de l’état, selon les variations des fortunes, changeaient la division financière du peuple en classes et en centuries, selon les mérites de l’un ou les torts de l’autre, le faisaient descendre ou monter d’une tribu, et le rejetaient même dans la dernière classe (ærarii), qui des droits de citoyen n’avait que celui de payer les impôts. Après le peuple passait devant eux le cortége des chevaliers, à pied, tenant leurs chevaux par la bride ; et, soumettant à leur censure les hommes les plus opulens et les plus illustres, à celui qui était trop pauvre ou trop mal noté, à celui même (souvenir de la simplicité antique) qui manquait de soins pour son cheval, ils ordonnaient de le vendre, c’est-à-dire le dégradaient. Au sénat même ils apparaissaient juges redoutables, avec une liste nouvelle des sénateurs, qu’ils lisaient et où chacun apprenait son sort. Ceux qui n’avaient plus le cens étaient effacés, ceux dont la réputation avait souffert étaient exclus ; les places vacantes étaient remplies, et au premier nom de cette liste appartenait le titre de chef du sénat (princeps senatus), comme au premier nom qu’ils inscrivaient sur la liste des chevaliers appartenait le titre de chef des chevaliers (princeps juventutis). Les villes admises au droit de cité, colonies ou villes municipales, avaient elles-mêmes leurs censeurs, qui envoyaient aux censeurs de Rome le résultat de leurs travaux ; et cet immense et périodique recensement de la république, cette solennelle enquête sur les races, sur les familles, sur les âges, sur les fortunes, sur les mœurs, était déposée au temple des Nymphes. Ainsi, armés seulement de leurs tablettes de cire où ils inscrivaient les noms avec honneur ou ignominie, juges que l’état se donnait à lui-même, grands classificateurs de la république, ils refaisaient et révisaient cette Rome officielle, la passaient au crible, sanctionnaient son progrès, réglaient son mouvement.

Si Rome avait su se maintenir dans ce bel ordre, garder l’équilibre entre elle-même et ses sujets, leur rendre autant qu’elle leur prenait, n’admettre dans son sein des élémens nouveaux qu’après s’être assi-