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LES CÉSARS.

et juge en équité. Suilius, entouré de disciples et de rivaux, est le digne successeur de ceux qui ont créé le rôle des Hatérius et des Romanus Hispo. Il y a mieux encore ; comme la défense est permise, qu’il n’y a pas un système de proscription assez serré et assez soutenu pour la rendre dangereuse, l’avocat, payé pour accuser, payé pour défendre, se met à l’enchère entre l’accusateur et le proscrit, vend sa faconde au plus offrant, acheté par l’un, se laisse racheter par l’autre, trahit la défense quand l’accusation paie mieux.

Ce métier de délateur devait avoir des ressources et des dangers que nous ne savons pas. Comment, sous un prince qui les condamne, y a-t-il encore de ces hommes ? Comment le sénat, si lâche d’ordinaire, leur devient-il tout à coup redoutable ? Comment, même sous Tibère, après avoir tremblé devant eux, se met-il contre eux comme en insurrection ? Comment prononce-t-il des amendes, des exils ? Un chevalier qui a payé le gain de sa cause 400,000 sesterces (77,500 fr.) à Suilius, trahi par celui-ci, va chez ce misérable et se tue. On s’indigne, le sénat se révolte ; on rappelle les anciennes lois de la république, lorsque le métier d’avocat était tout politique, et qu’il n’était permis de recevoir, pour plaider une cause, ni don ni argent. « Il y aura moins d’inimitiés, si les procès ne profitent à personne ; faut-il donc que l’avocat soit intéressé aux querelles et aux discordes, comme le médecin à l’épidémie ? » Suilius et les délateurs se troublent ; ils n’espèrent qu’en César, l’entourent, le prient ; « comment vivront-ils, pauvres petits sénateurs, s’ils ne vivent du prix de leur parole ? » Le gain de l’avocat fut limité à 1937 fr. 50 cent.

Mais laissons ceci. Voici venir Claude, juge acharné, non pas toujours juge déraisonnable ; raison variable, tantôt sagace et prudente, tantôt étourdie et brusque, tantôt puérile et presque folle. Il rendit quelques sentences originales et qui témoignent d’un esprit sensé. Il faisait ce que nous nommerions l’appel des jurés ; un homme qui avait un motif d’excuse ne le fit pas valoir, Claude le raya toujours, persuadé qu’un aussi ardent jugeur est un mauvais juge. Un autre, désigné comme juré, avait lui-même un procès à soutenir : « Plaide devant moi, lui dit Claude ; en discutant ton affaire, tu me montreras comment tu sais juger celles d’autrui. » Une femme refusait de reconnaître son fils. « Puisqu’il n’est pas ton fils, lui dit-il, tu vas l’épouser. »

Mais il en était là comme ailleurs : au palais les obsessions des affranchis, au Forum le tapage des avocats faisaient dévier sa droite raison. Les voyez-vous, autour de leur bon prince, criant, s’agitant, chicanant, jetant ce brave homme dans tous les détours de la procé-