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des soldats pour le suivre : « Vous donnerez bien à un consulaire quelque pauvre esclave qui le chausse, qui l’habille, qui le serve à ses repas ! Eh bien ! à moi seule je ferai tout cela. »

Valerius Asiaticus fut une autre victime. Il avait dans les faubourgs une villa magnifique, commencée par Lucullus, embellie par lui-même, et qui faisait grande envie à Messaline. Elle le croyait l’amant de Poppée, dont elle était jalouse ; il était de droit enveloppé dans le même complot qu’elle : c’était assez de raisons pour l’accuser. Il était hostile aux empereurs, s’était en pleine assemblée déclaré le principal instigateur de la mort de Caius, était appuyé d’illustres parentés, né dans les Gaules, fait pour soulever ce pays : c’était assez de prétextes pour le faire condamner par Claude. On l’arrête à Baïes ; on le conduit dans la chambre de César, où se jugeaient les grandes affaires. Là on l’accuse d’avoir corrompu la fidélité des soldats, d’être l’amant de Poppée, de vivre dans le désordre ; le désordre était un grand crime chez les suspects. Un témoin paraît, qui ne l’avait jamais vu, et savait seulement qu’il était chauve ; il désigne un autre homme chauve qu’il prend pour Valerius. La défense de l’accusé toucha Claude, fit pleurer Messaline ; mais, chose étrange, en allant se laver le visage, qu’elle avait baigné de larmes, elle dit tout bas à son complaisant Vitellius : « Ne le laisse pas échapper ! » Vitellius s’occupera donc de l’accusé, elle de Poppée. Elle fit peur à celle-ci de la prison ; Poppée se tua. Au bout de quelques jours, son mari vint souper chez César : « Et ta femme, pourquoi ne l’as-tu pas amenée ? lui demande César, qu’on n’informait de rien. — Elle est morte, seigneur, répond le pauvre mari. » Vitellius cependant arrivait à ses fins par une perfidie infâme. Il se jette aux pieds de Claude, parle de l’amitié qu’il a pour Asiaticus, de leur commun respect pour Antonia, la mère de Claude, des services d’Asiaticus, de ses exploits en Bretagne, invoque la pitié de César, lui demande une grace pour ce malheureux : qu’au moins il puisse choisir son genre de mort ! Claude, tout ému, Claude qui pensait déjà à absoudre Asiaticus, le stupide ! accorde ce qu’on lui demande.

La mort d’Asiaticus vous sera un exemple de la facilité qu’on avait alors à mourir. Ses amis l’engageaient, puisqu’il avait la liberté du suicide, à se laisser périr de faim ; c’était toujours gagner du temps. Asiaticus les remercia, alla comme d’ordinaire s’exercer au Champ-de-Mars, se mit au bain, fit un festin splendide, et s’ouvrit les veines. Avant de mourir, il voulut voir son bûcher, et le fit changer de place pour que le feuillage des arbres voisins ne fût pas endommagé par la flamme.