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ficiles, les plus menacées, par conséquent les plus importantes. Les provinces du peuple étaient bien gouvernées par des proconsuls et des préteurs ; mais, comme César avait dans ces provinces des biens, des revenus, des esclaves, il pouvait y avoir des hommes d’affaires, et ces hommes, — devenus importans par l’esprit fiscal de l’ancienne Rome, par la faveur des Césars, par l’intime union du fisc qui encourageait les délateurs, et des délateurs qui enrichissaient le fisc, — gens maniables du reste, affranchis, gens de cour, gens de peu de naissance et de basse ambition, — devenaient juges, gouverneurs, et, gagnant peu à peu du terrain sur les magistrats officiels finissaient par être maîtres de tout. Ainsi la république avait les titres, la monarchie les pouvoirs. Il y avait double organisation : l’une antique, solennelle, sénatoriale ; l’autre nouvelle, tout obscure et dissimulée dans le droit, toute puissante dans le fait.

En droit donc, au temps d’Auguste et après lui, l’empereur ne fut rien ; il se faisait consul, censeur, tribun, mais pour une année, pour une fois. Son vrai pouvoir n’avait ni caractère, ni désignation légale ; le nom d’imperator se donnait, après une victoire, même aux généraux de la république, celui de César était un nom de famille, celui d’Auguste, comme Dion le dit, un titre de dignité, non de puissance. Ce pouvoir n’avait pas de nom ; quand on voulait absolument le nommer, on disait princeps, le premier, comme on eût dit le premier bourgeois de la ville. César n’était qu’un citoyen votant aux élections, mais si sûr de l’assentiment de tous, qu’il dispensait les autres de voter après lui ; un sénateur opinant au sénat, mais il est vrai que le sénat ne manquait pas d’opiner comme lui.

Ceci nous explique la sagesse et la timidité des empereurs au commencement de leur règne. Ils craignaient que la légalité ne se réveillât, que la fiction ne voulût redevenir vérité ; que sénat, consuls, préteurs, peuple, ne prissent leurs droits au sérieux. Comme, dans un tel système, il ne pouvait y avoir de loi de succession, et que d’ailleurs l’esprit romain n’en admettait pas, leur légitimité toujours douteuse les tenait en inquiétude. Ils entraient, autant que possible, dans le système de république légale conservé par Auguste, s’abritaient sous la nullité officielle dont Auguste leur avait montré l’exemple, parlaient sans cesse d’Auguste, demandaient tout au sénat, s’inclinaient devant les consuls, faisaient ainsi sans bruit et sans orgueil le lit où devait dormir en paix leur puissance, s’établissaient commodément sur l’estime, sur l’approbation, sur la reconnaissance de tous, en attendant qu’enivrés à la coupe du pouvoir, ils entendissent autre-