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LES CÉSARS.

sait la liberté de ses goûts. Ce fut là, je crois, l’histoire de Claude ; il voulut bien, il est vrai, persuader aux autres que s’il avait été un sot sous Caligula, c’était finesse de sa part, et pour sauver sa vie ; mais alors le rôle avait été si bien et si long-temps joué, qu’il était passé en habitude et devenu une seconde nature.

Pourquoi les Césars commençaient-ils toujours bien ? Rappelez-vous quel avait été l’établissement politique d’Auguste. Il n’avait pas voulu être dictateur, — titre décrédité par l’usurpation de Sylla et la fin sanglante de César ; — roi ? moins encore. C’était une des fiertés du peuple romain de ne pouvoir souffrir un roi, de vivre mal avec les rois, de mépriser et d’humilier les rois ; dire à un homme qu’il régnait, c’était lui dire qu’il était un insupportable tyran ; dire une ame royale, c’était dire une ame impérieuse, intolérable, arrogante : Telles étaient la langue et la pensée de ce peuple, et les murailles de Rome se fussent soulevées si Octave eût voulu être roi. Mais, simple citoyen de la république, exerçant les magistratures de la république ; consul plusieurs fois, ce qui n’était défendu à personne ; n’ayant en permanence, avec les insignes du proconsulat, que le titre modeste et populaire de tribun et quelques désignations honorifiques (Auguste, chéri des dieux, père de la patrie) ; chargé seulement, par le sénat, de « mettre en ordre la république ; » tous les dix ans déposant ce fardeau, tous les dix ans le reprenant, sur la prière du sénat ; du reste, vivant, allant au Forum, votant aux comices, comme un simple Romain, qui pouvait reprocher à César le pouvoir absolu, quand il l’affichait si peu ?

La république demeura donc partout en titre officiel ; elle eut ses consuls, ses préteurs, ses questeurs, ses tribuns. Mais à travers ce magnifique et creux étalage, la monarchie se glissait humblement ; elle dressait peu à peu son administration extra-officielle, machine plus simple, instrument plus maniable, système moins rigoureusement et moins pompeusement régulier ; auprès des magistrats, fonctionnaires élus, gratuits, temporaires, fonctionnaires de la loi et non du prince, elle mettait les préfets, fonctionnaires choisis, payés, dépendans, révocables et conservables à souhait. Les consuls pouvaient se pavaner sous leurs robes de pourpre, et faire de beaux sacrifices aux féries latines ; le préfet de la ville et le préfet du prétoire avaient toute l’administration dans Rome. Hors de l’Italie, le sénat et le peuple (vous comprenez que le peuple ne figurait là que comme dans l’inscription S. P. Q. R.) avaient leurs provinces qu’ils administraient à l’antique ; mais César avait les siennes, qu’il administrait à sa guise, les plus dif-