Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/61

Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
LA DERNIÈRE ALDINI.

nous allâmes nous loger sur le grand canal, dans le meilleur hôtel de la ville. Nous passâmes les premières heures de notre arrivée à déballer nos malles et à mettre en ordre toute notre garde-robe de théâtre. Nous ne dînâmes qu’ensuite. Il était déjà assez tard. Au dessert, on m’apporta plusieurs paquets de lettres, parmi lesquels un seul fixa mon attention. Après l’avoir parcouru, j’allai ouvrir la fenêtre du balcon, j’y fis monter avec moi Checca, et lui dis de regarder vis-à-vis. Parmi les nombreux palais qui projetaient leurs ombres sur les eaux du canal, il y en avait un, placé en face même de notre appartement, qui se distinguait par sa grandeur et son antiquité. Il venait d’être magnifiquement restauré. Tout avait un air de fête. À travers les fenêtres, on apercevait, à la lueur de mille bougies, de riches bouquets de fleurs et de somptueux rideaux, et l’on entendait les sons harmonieux d’un puissant orchestre. Des gondoles illuminées, glissant silencieusement sur le grand canal, venaient déposer à la porte du palais des femmes parées de fleurs ou de pierreries étincelantes, avec leurs cavaliers en habit de cérémonie.

— Sais-tu, dis-je à Checca, quel est ce palais qui est devant nous, et pourquoi se donne cette fête ?

— Non, et je ne m’en inquète guère.

— C’est le palais Aldini, où l’on célèbre le mariage d’Alezia Aldini avec le comte Nasi.

— Bah ! me dit-elle avec un air demi-étonné, demi-indifférent.

Je lui montrai le paquet que j’avais reçu. Il était de Nasi. Il contenait deux lettres de faire part, deux autres lettres autographes, l’une de Nasi pour elle, l’autre d’Alezia pour moi, charmantes toutes deux.

— Tu vois, repris-je lorsque Checca eut fini de lire, que nous n’avons pas à nous plaindre de leurs procédés. Ce paquet nous a cherchés à Florence et à Milan, et, s’il ne nous est parvenu qu’ici, c’est la faute de nos voyages. Ces lettres sont, du reste, aussi bienveillantes et aussi agréables que possible. On reconnaît aisément qu’elles ont été écrites par de nobles cœurs. Tout grands seigneurs qu’ils sont, ils ne craignent pas de nous parler, l’un de son amitié, l’autre de sa reconnaissance.

— Oui, mais en attendant ils ne nous invitent pas à leurs noces.

— D’abord, ils ne nous savent pas ici ; et puis ensuite, ma pauvre sœur, les nobles et les riches n’invitent les chanteurs à leurs réunions que pour les faire chanter, et ceux qui ne veulent pas chanter pour amuser les amphitryons, on ne les invite pas du tout. C’est là la jus-