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et de Pompée, accusée à la fois de supposition d’enfant, d’adultère, d’empoisonnement, de sortilége, arrive au théâtre suivie de toutes les femmes nobles de Rome, supplie, pleure, invoque ses ancêtres, atteste l’image de Pompée, arrache au peuple ému des imprécations contre son mari qui l’accuse, et cependant, convaincue par les révélations de ses esclaves, finit par être exilée. Un enfant, un Papinius, d’une famille consulaire, « choisissant une mort hideuse et soudaine, se précipite d’une fenêtre ; » et qui en accuse-t-on, sinon sa mère « qui, depuis long-temps répudiée, avait, par le luxe, par de funestes obsessions, poussé ce jeune homme à de tels désordres, que le trépas seul pouvait le dérober à ses remords ? Elle fut exilée de Rome pendant dix ans jusqu’à ce que son second fils eût passé l’âge dangereux de la jeunesse. » Tacite est plein de pareils faits.

Et les crimes si multipliés chez les grands n’étaient pas plus rares chez le peuple. Lorsque Claude, moins par une sévérité d’honnête homme que par une curiosité d’antiquaire, rétablit l’ancien supplice des parricides et les fit jeter à la mer liés dans un sac avec une poule, une vipère et un singe, on observa qu’en cinq ans il y eut un plus grand nombre de pareils supplices qu’il n’y en avait eu depuis des siècles. Le temps vint ensuite où, dit Sénèque, on vit plus de sacs que de croix, c’est-à-dire plus de parricides que d’assassins ; en une seule fois, pour combattre sur le lac Fucin, Claude trouva dix-neuf mille condamnés à mort.

C’est vraiment une horrible époque, et souvent je voudrais la laisser là. Mais cette époque a pour moi l’attrait d’un problème. J’ai fait mon possible pour vous expliquer et pour m’expliquer Tibère ; je comprends l’homme, je ne comprends pas encore, je ne saisis pas jusqu’au bout son époque et la raison de sa puissance. Quoi que je me dise, je ne me rends pas compte assez nettement de cette dislocation de la société, de cette absence de communauté entre les hommes qui faisaient si grand à la fois et si précaire le pouvoir d’un seul. Je comprends peut-être un peu cette société : je ne me la représente point. Ce siècle me paraît le plus problématique de tous, peut-être aussi, à cause de cela, celui qu’on a le moins étudié. On a été prodigue d’érudition et de labeur sur les âges primitifs, où la mythologie commence à peine à devenir une obscure ébauche de l’histoire ; sur cette ère tout historique, où tous les faits sont positifs, toutes les autorités contemporaines, où des livres profondément curieux ont été faits comme exprès pour allécher notre investigation, on s’est contenté d’une sèche et superficielle étude des choses, sans