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L’ORCO.

masque se retourna, et, fixant sur le visage pâlissant de son compagnon un regard scrutateur, il lui dit :

— Vous avez peur ? Adieu.

Puis, lui lâchant le bras, elle s’éloigna à grands pas. Franz eut honte de sa faiblesse, et, se précipitant vers elle, lui saisit la main à son tour et lui dit :

— Non, je n’ai pas peur. Allons.

Sans rien répondre, elle continua sa marche. Mais au lieu de se diriger vers l’église, comme la première fois, elle s’enfonça dans une des petites rues qui donnent sur la place. La lune s’était cachée, et l’obscurité la plus complète régnait dans la ville. Franz voyait à peine où il posait le pied, et ne pouvait rien distinguer dans les ombres profondes qui l’enveloppaient de toutes parts. Il suivait au hasard son guide qui semblait au contraire connaître très bien sa route. De temps en temps quelques lueurs, glissant à travers les nuages, venaient montrer à Franz le bord d’un canal, un pont, une voûte, ou quelque partie inconnue d’un dédale de rues profondes et tortueuses ; puis tout retombait dans l’obscurité. Franz avait bien vite reconnu qu’il était perdu dans Venise, et qu’il se trouvait à la merci de son guide. Mais, résolu à tout braver, il ne témoigna aucune inquiétude, et se laissa toujours conduire sans faire une seule observation. Au bout d’une grande heure, la femme masquée s’arrêta.

— C’est bien, dit-elle au comte, vous avez du cœur. Si vous aviez donné le moindre signe de crainte pendant notre course, je ne vous eusse jamais reparlé. Mais vous avez été impassible, je suis contente de vous. À demain donc, sur la place Saints-Jean-et-Paul, à onze heures. Ne cherchez pas à me suivre ; ce serait inutile. Tournez cette rue à droite, et vous verrez la place Saint-Marc. Au revoir.

Elle serra vivement la main du comte, et, avant qu’il eût eu le temps de lui répondre, disparut derrière l’angle de la rue. Le comte resta quelque temps immobile, encore tout étonné de ce qui venait de se passer, et indécis sur ce qu’il avait à faire. Mais, ayant réfléchi au peu de chances qu’il avait de retrouver la dame mystérieuse, et aux risques qu’il courrait de se perdre en la poursuivant, il prit le parti de retourner chez lui. Il suivit donc l’itinéraire qui lui avait été tracé, se trouva en effet, au bout de quelques minutes, sur la place Saint-Marc, et de là regagna facilement son hôtel.

Le lendemain, il fut fidèle au rendez-vous. Il arriva sur la place, comme l’horloge de l’église sonnait onze heures. Il vit la femme masquée qui l’attendait debout sur les marches du portail.