au lieu de l’effrayer, excitèrent sa curiosité, et lui inspirèrent une folle envie de faire connaissance avec le personnage mystérieux qui épouvantait si fort le vulgaire. Voulant garder vis-à-vis du masque le même incognito que celui-ci gardait vis-à-vis de lui, il s’habilla en bourgeois, et recommença ses promenades nocturnes. Il ne tarda pas à rencontrer ce qu’il cherchait. Il vit, par un beau clair de lune, la femme masquée, debout devant la charmante église de Saints-Jean-et-Paul. Elle semblait contempler avec adoration les ornemens délicats qui en décorent le portail. Le comte s’approcha d’elle à pas lents et silencieux. Elle ne parut pas s’en apercevoir, et ne bougea pas. Le comte, qui s’était arrêté un instant pour voir s’il était découvert, reprit sa marche et arriva tout près d’elle. Il l’entendit pousser un profond soupir, et chanter à voix si basse, qu’il ne put d’abord distinguer les paroles. Mais après un moment d’attention, il reconnut des vers patois et un refrain populaire qu’il avait déjà entendu sur les places. Comme il était fort bon musicien et doué d’une rare mémoire, il avait retenu ce refrain ; et, à l’instant, sans rien dire, il se mit à le fredonner en même temps qu’elle. Au lieu de cesser son chant, comme Franz le craignait, le masque éleva la voix davantage, sans changer le mouvement, de sorte que le refrain, repris en deux parties, s’acheva dans un mélodieux accord. Aussitôt qu’ils eurent fini, Franz, qui savait fort mal le vénitien, mais fort bien l’italien, lui adressa la parole dans un toscan très pur.
— Salut, dit-il, salut et bonheur à ceux qui aiment Venise !
— Qui êtes-vous ? répondit le masque d’une voix pleine et sonore comme celle d’un homme, mais douce comme celle d’un rossignol.
— Je suis un amant de la beauté.
— Êtes-vous de ceux dont l’amour brutal violente la beauté libre, ou de ceux qui s’agenouillent devant la beauté captive, et pleurent de ses larmes ?
— Quand le roi des nuits voit la rose fleurir joyeusement sous l’haleine de la brise, il bat des ailes et chante ; quand il la voit se flétrir sous le souffle brûlant de l’orage, il cache sa tête sous son aile et gémit. Ainsi fait mon ame.
— Suis-moi donc, car tu es un de mes fidèles.
Et, saisissant la main du jeune homme, elle l’entraîna vers l’église. Quand celui-ci sentit cette main froide de l’inconnue serrer la sienne, et la vit se diriger avec lui vers le sombre enfoncement du portail, il se rappela involontairement les sinistres histoires qu’il avait entendu raconter, et, tout à coup saisi d’une terreur panique, il s’arrêta. Le