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colore et les découpe ; les maisons naissent, les minarets poussent et vont chercher le ciel. Constantine n’est plus la masse livide et cadavéreuse qu’on apercevait tout à l’heure ; c’est un être qui a vie et mouvement.

De ce même mamelon de Sidi-Messid, on peut jeter un coup d’œil général sur la contrée. C’est un pays de hauts plateaux divisés par de nombreuses chaînes de collines et de montagnes. Dans les parties peu éloignées de la ville, les dépressions sont plus marquées et les reliefs plus brusques. Il y a vers l’ouest une plaine médiocrement élevée, courant du sud au nord. Mais au-delà, tout grandit et se simplifie ; les régions inférieures disparaissent et il ne reste en vue que des groupes de sommets, des faisceaux de pitons, une mer dont les vagues sont des montagnes. Rien n’égale la nudité du paysage. C’est à peine si la végétation s’y révèle par quelques points isolés et par quelques minces filets de verdure. Mais quoique la terre manque de tout ce qui lui sert d’ornement et de vêtement, elle est belle par ses formes même, par la netteté et la hardiesse simple de ses contours. Quand le ciel est épuré, quand la lumière a cet éclat doux que lui donne l’automne, on découvre, de Sidi-Messid, un spectacle plein de magnificence. La profondeur et la richesse des horizons, la multiplicité des échappées ouvrant des perspectives infinies, l’harmonie des plans et des lignes, tout donne l’idée de la puissance calme et de la force contenue ; tout porte le caractère de cette beauté qu’on admire dans l’Hercule au repos.

En contraste avec ce grand et sévère ensemble, il y a près de la ville un cadre étroit plein de détails charmans : c’est la zône de jardins qui serpente le long du cours inférieur du Rummel. Là semble affluer toute la sève végétale destinée à alimenter le reste du pays. Les arbres pressés les uns contre les autres, se pénétrant et s’enlaçant, enfonçant leurs tiges dans de grosses touffes de hauts herbages, et déployant autour d’eux d’amples voiles de lianes, reproduisent, par un désordre plein de grace, par les mystères de leurs voûtes de feuillages et par l’empâtement de toute cette végétation, les accidens des forêts vierges, mais ramenés à une petite échelle. Cette série de rians tableaux s’ouvre par une scène plus solennelle : c’est la chute du Rummel. La base de rochers qui soutenait comme un aqueduc le cours de la rivière à une grande élévation au-dessus des régions basses du pays, manque tout à coup et précisément en face de la dépression de terrain la plus profonde, et laisse tomber les eaux de deux cents pieds de hauteur. Excepté après de fortes pluies, ce n’est pas une cascade à grandes lames et à jets puissans ; c’est, en général, une succession d’aigrettes qui se croisent et se mêlent, et de gerbes qui se développent en sens divers ; des enroulemens de tissus brillans qui tournent en spirale autour des pointes de rochers, des déploiemens de nappes blanchissantes glissant sur le granit lisse et poli ; ce sont des effets piquans et inattendus, mais sans beaucoup de grandeur ni de majesté. Une foule de dérivations, tirées à différentes hauteurs de la cascade, courent sur les pentes des talus qui s’appuient à la base des rochers. Ils y