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EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

ville entière. On s’étonne de la quantité de fange, de la quantité et de la variété d’infections que peut contenir une cité d’Afrique. Pendant les deux ou trois premiers jours qui suivirent l’entrée des Français, les parties hautes de la ville et les rues un peu ouvertes au jour étaient abandonnées à peu près exclusivement aux Européens. Les indigènes se tenaient loin de la lumière, dans les ruelles détournées et dans les quartiers bas qui longent le ravin du Rummel. Mais peu à peu, reprenant confiance et d’ailleurs augmentant de nombre par la rentrée des fugitifs, ils se détachèrent des lieux enfoncés et revinrent à la surface. La première industrie qu’ils osèrent exercer, parce qu’elle compromettait fort peu leur avoir, fut celle de cafetier. À chaque pas, on trouvait un homme ou un enfant faisant et vendant du café en pleine rue ; ensuite on étala des pains, des légumes communs, et on se décide enfin à hasarder de petites bougies, des fruits secs et un peu de sucre brut. Les soldats se jetaient avec une effrayante avidité sur tout ce qui se pouvait manger, quoique les distributions régulières ne leur aient jamais manqué. Ils passaient tout leur temps à chercher et à préparer des alimens, et le feu ne s’éteignait, pour ainsi dire, ni jour ni nuit sous leurs marmites. Ces excès de nourriture, et d’une nourriture souvent malsaine, agissant sur des organisations déjà irritées et affaiblies par les misères du bivouac, durent contribuer beaucoup à développer les maladies inflammatoires qui bientôt éclatèrent dans l’armée.

L’aspect extérieur de Constantine varie beaucoup suivant les points de vue où l’on se place. La face de la ville qui regarde Kodiat-Aty est celle qui a le moins d’originalité. Un massif composé de plusieurs gros bastions carrés, liés entre eux par de lourdes courtines, et de part et d’autre quelques pans de rochers surmontés de murs crénelés, qui fuient et se dérobent bientôt par de nouvelles sinuosités, tel est le seul ensemble que de là on puisse saisir. Ce n’est qu’un masque de fortifications assez vulgaires, derrière lequel la ville se tient presque entièrement cachée. De Mansoura, le rocher de Constantine apparaît comme une large pyramide triangulaire, tronquée par un plan incliné, sur lequel la ville semble comme écrasée. Par l’effet de la déclivité du plateau de Constantine et de sa situation au-dessous du Mansoura, de cette dernière position on n’aperçoit que les toits des maisons, qui paraissent se recouvrir les uns sur les autres comme des écailles, et s’appuyer directement sur le sol. Les édifices les plus hauts brisent seuls de leur élévation verticale cette croûte compacte de tuiles sombres. Les minarets eux-mêmes, excepté deux ou trois qui dépassent la crête du massif, se détachant sur l’horizon libre, se perdent, avec leur teinte généralement d’un rouge terne, dans le fond de toitures sur lequel ils se projettent. Cet aspect est singulièrement triste ; cette confusion des plans, et cette couleur cuivrée qui glace tous les objets, donnent l’idée d’une ville long-temps enfouie sous les laves d’un volcan. Mais si du Mansoura on monte sur les hauteurs de Sidi-Messid, à mesure qu’on s’élève, on voit la lourde unité que présentait la ville se diviser, s’étendre et s’animer ; l’air glisse et circule autour des objets, la lumière les