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chages sur des groupes de buissons. Quelques pans des murs de la Casbah paraissent être de construction romaine, et une grande partie de cette enceinte est au moins formée d’appareils antiques. Le monument autour duquel se trouvent réunis peut-être le plus de vestiges de la domination des Romains, c’est le pont par lequel la porte inférieure de la ville communique avec le pied du plateau de Mansoura et des hauteurs de Sidi-Messid. Les culées entières sont de l’époque romaine : ce sont quelques rochers posés les uns sur les autres par des mains de géans ; et à côté, pour atteindre à leur hauteur, ont été entassés, par nos pauvres générations, pierres sur pierres, matériaux sur matériaux, étages sur étages. Suivant les exigences de la profondeur variable du ravin, deux et trois rangées d’arcades ogivales, superposées les unes au-dessus des autres, se dressent sur leurs longs et forts jambages pour soutenir la voie du pont au niveau convenable. Enfin un couronnement servant de parapet, qui par son élégance nerveuse rappelle les attiques des palais florentins, termine heureusement l’édifice. Mais ces travaux modernes, malgré leur hardiesse et leur grace réelles, s’effacent et disparaissent en regard des pierres romaines. Dans une des piles du pont sont incrustés deux fragmens de bas-reliefs antiques. Sur l’un sont figurés deux éléphans en présence et comme prêts à s’attaquer ; l’autre, placé au-dessus de celui-ci, représente une femme qui semble descendre du haut des airs. Les supports inférieurs du pont ne plongent pas eux-mêmes dans les eaux du Rummel. Ils ont pour base une voûte naturelle, qui recouvre en cet endroit le lit de la rivière.

Cinq rues principales traversent la ville dans un sens à peu près parallèle au cours du Rummel. La plus élevée suit assez exactement la crête du terrain qu’occupe Constantine ; elle conduit de la porte supérieure à la Casbah. Deux autres partent des abords, l’une de la porte inférieure, l’autre d’une porte intermédiaire, auxquelles elles se rattachent, non directement, mais par des embranchemens tortueux. Une troisième prend naissance à la porte intérieure, auprès de laquelle a eu lieu la grande explosion. À leurs extrémités opposées, elles n’aboutissent pas d’une manière nettement déterminée, mais elles s’embrouillent dans un écheveau emmêlé de petites rues, dont le nœud est auprès de la porte du pont. Presque droites dans une grande partie de leur longueur, et tracées dans un terrain assez uni, elles sont, excepté celle de la Casbah, généralement garnies des deux côtés de ces petites niches carrées, profondes et noires, qui servent de boutiques. Quelquefois des vignes sont suspendues en berceau au-dessus de la voie publique. Les autres rues de la ville, presque toutes perpendiculaires à celles-ci, sont en pente rapide ; elles se jettent dans toutes les directions, se mêlent et se séparent, se perdent et se retrouvent, se resserrent et s’épanouissent, et semblent disposées exprès pour faire le désespoir des marcheurs qui ont un but. Mais ce que l’on ne saurait imaginer, quand on ne l’a pas vu, quand on ne l’a pas senti, c’est l’amas prodigieux de boues, d’immondices et d’odeurs infectes que déploie la