Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/581

Cette page a été validée par deux contributeurs.
577
EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

première cour dans laquelle on entre en sortant du vestibule, se lie de trois côtés différens aux trois autres cours par la suppression, dans la longueur des lignes communes, des murs de séparation, qui sont remplacés des colonnades. Les portiques sur lesquels donnent les appartemens du bey sont doubles et avec double rangée de colonnes, en sorte que, d’un point de vue central et par les échappées qui sont ménagées d’une cour à l’autre, l’œil peut, suivant différentes directions, rencontrer dans un même plan trois et quatre colonnes de file. Pour aider encore l’imagination à se lancer dans un monde d’architecture orientale, l’éclat des couleurs prête sa magie aux lignes des constructions. Les murs sur lesquels se détachent les ogives, et l’épaisseur même des cintres, sont vivement enluminés ou de tableaux représentant les principales villes des empires musulmans, ou de grands entrelacs mêlés de fleurs. Tout ce luxe, il est vrai, est fortement empreint d’un caractère barbare. Il ne faut pas chercher ici la symétrie, le fini précieux, l’élégance d’ornementation et la richesse des détails qui se font remarquer dans les belles habitations d’Alger ; mais il sort de tout cet ensemble un prestige d’effets, un parfum d’Orient, sous l’impression desquels l’esprit s’ouvre mille perspectives dorées et rêve des magnificences ineffables, surtout lorsqu’un jour douteux laisse un voile de demi-obscurité sur les médiocrités et les exagérations de la réalité. L’œil qui se promène à perte de vue parmi les colonnes, les ombres qu’elles projettent et les gerbes de lumière adoucie qui s’épanouissent dans les vides, croit apercevoir une clairière dans une forêt de marbre.

Outre ce genre de beautés prévues et amenées par la volonté des hommes, il s’en rencontre d’autres purement pittoresques et fortuites, qui sont sorties comme d’elles-mêmes des hasards ou des nécessités des constructions. Tels sont les nombreux passages voûtés, au moyen desquels les rues se prolongent à travers des massifs de bâtimens. Le chemin qui s’engloutit dans ces antres ténébreux, le jour qui y meurt et renaît, les passans qui glissent comme des ombres dans le clair-obscur, les silhouettes se découpant d’une façon bizarre sur le fond lumineux qu’encadrent les derniers arceaux ; tous ces accidens jettent un peu de poésie au milieu d’un ensemble misérable et dépourvu de caractère. Si on veut sortir des pauvretés sous lesquelles on est affaissé, pour s’élever d’un seul regard jusqu’à la représentation d’un grand ordre de choses, on peut encore aller se poser en face d’un des restes de l’antiquité romaine. À l’intersection de deux rues, du sein des constructions arabes s’élancent trois grands arcs romains, formant les trois côtés contigus d’un vaste carré. Non loin de là, un autre cintre, de même dimension, paraît avoir appartenu au même monument. Les premiers, parfaitement simples, ne sont ornés que de la beauté de leurs proportions et de la magnificence de leurs matériaux ; le dernier se distingue par une archivolte et par quelques moulures. Par la puissance de leur structure, la hardiesse de leur jet et la majesté calme avec laquelle ils abritent, sous leurs grandes ombres, les masures modernes, ils rappellent des chênes étendant leurs forts bran-