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put donc reprendre son cours. Comme à peu de distance au-delà du point où le temps d’arrêt avait été marqué se trouvait une intersection de plusieurs rues divergentes, il allait devenir possible de faire rayonner plus librement nos forces dans différentes directions, de manière à couper et recouper les lignes de l’ennemi, et d’étendre et de nouer le réseau d’opérations sous lequel la défense tout entière devait être serrée et étouffée. Ce fut sans doute l’imminence de ce résultat qui amena bientôt les habitans à cesser les hostilités.

Cependant le général en chef, voulant donner à l’attaque plus d’unité, ordonna au général Rulhières d’aller prendre le commandement des troupes qui se trouvaient dans la place. Lorsque ce général fut entré dans la ville, il reconnut que la distance à laquelle les ennemis s’étaient maintenus était encore d’un rayon bien court, puisque leurs balles arrivaient à quelques pas de la place où l’explosion avait eu lieu. Après s’être assuré que l’on pouvait déjà décrire un grand circuit par la droite, mais que ce moyen de tourner l’ennemi serait lent et peu efficace, parce que toute cette partie de la ville avait été presque abandonnée par les habitans armés, il se porta en avant pour dépasser la première rue de gauche, dont le feu avait jusque-là marqué la limite du mouvement central. Son intention était de se rabattre ensuite vers la gauche pour gagner la zône la plus élevée de la ville, et prendre ainsi les défenseurs dans un demi-cercle d’attaque ; mais il n’eut pas le temps d’exécuter son projet. Il arrivait à hauteur des tirailleurs les plus avancés, lorsqu’il vit venir vers lui un Maure ayant à la main une feuille de papier écrite : c’était un homme que députait le pouvoir municipal de la ville, pour demander que l’on arrêtât les hostilités. Le général fit cesser le feu et conduire l’envoyé au général en chef. Celui-ci, après avoir pris connaissance de la lettre par laquelle les grands de la cité, rejetant la responsabilité de la défense sur les Kabaïles et les étrangers soldés, suppliaient que l’on acceptât leur soumission, donna une réponse favorable, et fit prévenir le général Rulhières de prendre possession de la ville. Ce général se dirigea aussitôt vers la Casbah, afin d’occuper ce poste important, s’il était libre, ou de s’en emparer par la force, si quelques Turcs ou Kabaïles de la garnison de la ville avaient songé à s’y renfermer et à s’y défendre comme dans une citadelle, malgré la reddition des habitans. En entrant dans cette enceinte, on la crut d’abord déserte ; mais en avançant à travers les constructions dont elle était encombrée, vers le bord des précipices qui l’entourent du côté extérieur, on aperçut les derniers défenseurs, ceux qui ne voulaient point accepter le bénéfice de l’aveu de leur défaite, s’enfonçant dans les ravins à pic, la seule voie qui s’ouvrît désormais à leur retraite. Quelques-uns, avant de disparaître dans ces profondeurs, se retournaient encore pour décharger leurs fusils sur les premiers Français qui se montraient à portée.

Quand on fut tout-à-fait au-dessus de ces abîmes, en y plongeant le regard, on découvrit un affreux spectacle. Un talus extrêmement rapide retombe du terre-plein de la Casbah sur une muraille de rochers verticaux, dont la base pose sur un massif de pierres aiguës et tranchantes. Au pied de cette muraille,