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membres ne sont pas libres, et quelque chose d’épais, de presque solide et de brûlant les enveloppe et les serre. Beaucoup ne sortent de ce premier étourdissement qu’avec des douleurs aiguës ; le feu dévore leurs chairs ; le feu attaché à leurs habits les suit et les ronge : s’ils veulent faire un effort avec leurs mains, ils trouvent leurs mains brûlées ; si, reconnaissant que le jour renaît et augmente autour d’eux, ils cherchent à distinguer où ils sont et ce qui les environne, ils s’aperçoivent que leurs yeux ne voient plus ou ne voient qu’à travers un nuage. Plusieurs ne font que passer des angoisses de la première secousse à celles de l’agonie. Quelques-uns, dépouillés de leurs vêtemens, dépouillés presque entièrement de leur peau, sont pareils à des écorchés ; d’autres sont dans le délire ; tous s’agitent au hasard et avec des clameurs inarticulées. Cependant les premiers mots qui se font entendre distinctement sont ceux : en avant ! à la baïonnette ! prononcés d’abord par les plus valides, répétés ensuite comme d’instinct par ceux même qui n’en comprennent plus le sens. Une explosion venait d’avoir lieu. Le premier et principal centre de cette explosion paraît avoir été auprès de la porte ; mais, à en juger par l’étendue du terrain bouleversé et par le nombre d’accidens semblables qui se reproduisirent autour de différens points assez distans les uns des autres, on peut croire qu’il s’alluma dans une succession rapide plusieurs foyers. Probablement les assiégés avaient, auprès du lieu où se trouvait la tête de notre colonne, un magasin à poudre, auquel le feu prit par hasard, plutôt qu’en exécution d’un dessein prémédité de l’ennemi. Lorsque l’air fut en conflagration, les sacs à poudre que portaient sur leur dos plusieurs soldats du génie, durent s’enflammer et multiplier les explosions. Les cartouchières des soldats devinrent aussi, sur une foule de points, des centres ignés, dont les irradiations, se croisant et se heurtant dans tous les sens, remplirent de feu et de scènes horribles tout ce grand cercle de calamités. Sous tant de chocs, sous l’action de tant de forces divergentes, le sol avait été remué et s’était creusé ; la terre en avait été arrachée et s’était élevée en tourbillons dans l’air ; des pans de murs s’étaient renversés ; l’atmosphère s’était comme solidifiée ; on ne respirait que du sable et une poussière de débris ; le feu semblait pénétrer par la bouche, par les narines, par les yeux, par tous les pores. Il y eut quelques momens de confusion ; on ne savait où était le péril : en voulant le fuir, ceux qui étaient hors de sa sphère d’action venaient s’y jeter, et d’autres qui auraient pu y échapper s’en laissaient atteindre, croyant que tout terrain était miné, que toute muraille allait s’abîmer sur eux, et que se mouvoir c’était se jeter au-devant de la mort. Les assiégés qu’on venait d’écarter des lieux les plus voisins du cratère de cette éruption, eurent moins à en souffrir, et, profitant du trouble dans lequel les assaillans étaient restés sous le coup de cette catastrophe, ils revinrent dans la rue qu’ils avaient naguère abandonnée, lâchèrent plusieurs bordées de tromblons et d’autres armes à feu sur les groupes à demi brûlés et à demi terrassés par l’explosion, qui étaient entassés autour de la porte, et, après avoir ainsi achevé de briser ce qui était encore assez entier, assez consistant pour se défendre, ils s’ap-