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LA DERNIÈRE ALDINI.

le regrettera un jour, si tu n’en sens pas le prix aussi bien qu’elle. Et, dis-moi, pouvons-nous apprécier ces sacrifices, nous autres qui sommes pleins de justes préventions contre le monde, et qui le méprisons autant qu’il nous méprise ? Non, non ; un jour viendrait, Lélio, je te le prédis, où, même sans regretter le monde, elle t’accuserait d’ingratitude au premier grief qu’elle aurait contre toi, et c’est un triste rôle pour un homme que d’être l’obligé insolvable de sa femme.

En trois mots, je fis savoir à la Checca quelles étaient mes intentions à l’égard d’Alezia. Quand elle vit que j’abondais dans son sens :

— Mon bon Lélio, dit-elle, il m’est venu une idée. Il n’est pas question ici de penser à soi seul, ou du moins il faut penser à soi noblement, et assurer l’orgueil de la conscience pour l’avenir. Nasi aime Alezia ; elle n’a point été ta maîtresse. Il peut l’épouser ; il faut qu’il l’épouse.

Je ne savais trop si Checca, mue par un sentiment d’inquiétude jalouse, ne me parlait pas ainsi pour me faire parler à mon tour ; mais elle ajouta, sans me donner le temps de répondre : — Sois sûr de ce que je te dis, Lélio, Nasi est fou d’elle. Il est triste à mourir. Il la regarde avec des yeux qui semblent dire : Que ne suis-je Lélio ! et quand il me témoigne de l’affection, je vois bien que c’est par reconnaissance de ce que je fais pour elle. — En vérité, le crois-tu, ma bonne Checca ? lui dis-je, frappé de sa pénétration et du grand sens qu’elle déployait dans les grandes occasions, elle, si absurde dans les petites. — Je te dis que j’en suis sûre. Il faut donc qu’ils se marient. Laissons-les ensemble. Partons sur-le-champ.

— Partons la nuit prochaine, je le veux bien, répondis-je ; jusque-là c’est impossible. Je t’en dirai la raison dans quelques heures. Retourne auprès d’Alezia avant qu’elle ne s’éveille. — Oh ! elle ne dort pas, répondit Checca ; elle n’a fait que se promener en long et en large toute la nuit avec agitation. Sa soubrette Lila, qui a voulu coucher dans sa chambre, cause avec elle de temps en temps, et l’irrite beaucoup par ses remontrances, car elle n’approuve pas l’amour de sa maîtresse pour toi, je t’en avertis. Mais quand elle se met à soupirer et à dire : Povera signora Bianca ! Povera principessa madre ! la belle Alezia fond en larmes et se jette sur son lit en sanglotant. Alors la soubrette la supplie de ne pas faire mourir sa mère de chagrin. J’entends tout cela de ma chambre. Adieu, j’y retourne. Si tu es bien décidé à repousser ce mariage, songe à mon projet, et prépare-toi à servir l’amour de notre pauvre comte.

À huit heures du matin, nous nous rendîmes sur le terrain. Le comte Hector tirait l’épée comme Saint-Georges, et bien lui prenait de