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intérieur qui surexcite l’organisation tout entière à l’approche d’une crise long-temps attendue ; quelques-uns par l’amour inné du péril et de cette gloire solitaire, obscure, qui est presque le seul apanage du simple soldat ; bien peu par l’espoir de se faire remarquer et d’avoir de l’avancement. Chez l’officier, être tout autrement multiple, tout autrement compliqué, bien plus de facultés étaient en effervescence, bien plus de fibres étaient tendues et comme prêtes à se rompre. Pour ceux qui avaient choisi et embrassé par goût la carrière des armes, il y avait comme un retour de jeunesse, comme une seconde sève amenant à l’état de fruit ce que la première avait laissé en fleurs déjà prêtes à se sécher et à tomber. Toutes ces images, toutes ces illusions au sein desquelles leur organisation adolescente avait grandi pour la guerre, et en avait puisé l’instinct : la mêlée, le combat corps à corps, les récompenses enlevées à la pointe de l’épée, le fer fumant du sang ennemi, toute la poésie dont ils s’étaient d’abord abreuvés, dont ils avaient désespéré plus tard, tout ce qui avait fait le délire de leurs rêves guerriers ; tout était là devant eux, non plus fuyant dans les perspectives extrêmes et s’enfonçant dans les lointains horizons du passé ou d’un avenir improbable, mais à leur portée, mais sous leur main, mais à distance de quelques heures. Pour plusieurs, il y avait l’apparition instantanée et comme miraculeuse de l’objet de désirs presque extravagans ; pour tous, il y avait une occasion unique de prétendre à la satisfaction de quelque ambition ou bouillante dans sa soudaineté, ou impatiente et superbe par l’effet même de sa durée. Mais s’il dut y avoir un grand enivrement de bonheur parmi ceux qui se trouvaient appartenir aux catégories de troupes désignées pour l’assaut, pour ceux qui avaient pu se croire appelés et qui n’étaient pas élus, il y eut d’amers mécomptes, de sombres retours à la réalité, et, au sortir d’une soudaine illumination d’espérances, comme une chute dans d’épaisses ténèbres.

Vers 5 heures du soir, le général en chef reçut une lettre du bey Achmet. Celui-ci, malgré l’état pressant des circonstances, conservait un langage vague et un style de protocole, comme s’il se fût agi de négociations à tramer dans un cabinet diplomatique et non d’une convention sur le bord de la brèche. Il exprimait le désir d’arrêter l’effusion du sang, protestait de ses dispositions pacifiques, et finissait par demander qu’on suspendît le feu. Le général Valée ne vit là qu’une tentative pour gagner du temps, dans l’espoir sans doute que, tandis qu’on serait en pourparlers, la pluie reviendrait, ramenant sur les assiégeans toutes ses misères, et que d’ailleurs, après quelques nouvelles journées d’attente, l’armée française, épuisée de ressources, ne serait plus en état de vaincre un dernier effort de la défense. Il fut donc répondu au bey que la condition indispensable pour qu’on entrât en rapport avec lui, était la remise de la place entre les mains des Français, et que cette démarche pouvait seule nous arrêter au milieu de nos progrès. Ce fut le premier et dernier essai du bey pour faire reculer sa mauvaise fortune. Soit aveuglement, soit abandon de son avenir à la fatalité, il semblait peu soucieux de clore par un pacte définitif le compte qui se réglait entre lui et sa destinée. Peut-être, égaré par de