n’était plus : le boulet l’avait frappé dans la poitrine et traversé de part en part. Au moment où le général tombait, le général Perrégaux, se penchant vers lui, était atteint d’une balle entre les yeux. Les spectateurs restaient immobiles autour du cadavre ; le général Valée, qui arrivait de la batterie de brèche, les fit retirer d’une direction si funeste, et le corps du gouverneur fut transporté dans une chapelle ruinée où l’ambulance venait de s’établir. L’évènement s’accomplissait à peine que, dans toutes les parties du camp, les troupes étaient instantanément averties qu’il venait de se passer un fait extraordinaire, on ne savait lequel, et l’on eût dit que le sentiment d’un accident grave s’était répandu avec le bruit de l’explosion, comme si ce coup de canon avait sonné d’une manière toute fatale. Les soldats, voyant transporter un corps couvert d’un manteau, s’en approchaient avec une sorte de curiosité religieuse. Mais cette impression sérieuse, il faut le reconnaître, se dissipa en partie avec le mystère. Lorsqu’on sut positivement le nom de la victime, chacun retourna froidement à son poste, et l’on n’y pensa plus. Dans cette atmosphère raréfiée, qui se forme sous l’influence de la succession rapide des évènemens et de la présence continuelle du danger, beaucoup de facultés s’éteignent ; mais parmi les dispositions qui s’y soutiennent ou même s’y renouvellent, une des plus vivaces, des plus excitées, c’est la curiosité. Ardent à s’enquérir des faits, on reste tout indifférent à ceux qu’on apprend, quelque inattendus et saisissans qu’ils soient. Certes, s’il est une émotion qui, dans les circonstances habituelles, s’empare facilement des esprits, des esprits d’élite comme des esprits vulgaires, et qui parcoure rapidement toute l’échelle des intelligences, c’est bien celle qui naît au spectacle de la brusque opposition, dans le même individu et presque dans le même moment, d’un éclatant bonheur et d’une éclatante infortune, de la victoire s’ensevelissant dans son triomphe, de la grandeur frappée de la foudre. Cependant, pour le plus grand nombre, tout ce drame, toute cette poésie d’une péripétie violente, se perdaient dans le bruit du canon et s’anéantissaient en face de la brèche. Peut-être, dans la foule, quelques ames plus faites au tumulte des armes ou plus accoutumées à s’isoler des choses extérieures, s’ouvrirent-elles à des sentimens d’une piété généreuse envers la mémoire du général en chef qui venait de mourir glorieusement. Mais beaucoup demandaient froidement pourquoi le gouverneur-général avait été s’exposer aux boulets de l’ennemi. Ne faut-il pas, en effet, que les hommes positifs viennent toujours troubler, de leurs remontrances jalouses et de leurs froides observations, ceux qui ont choisi la meilleure part ? N’est-il donc d’aucune utilité que quelquefois un homme haut placé et n’ayant plus rien à acheter par son sang, vienne le donner, tandis que d’autres le vendent ; que par une fière insouciance, en face du danger auquel il ne peut plus rien demander, il proteste contre le courage intéressé et qui s’exerce sous bénéfice d’inventaire ; que, fraternisant dans le péril avec les soldats, il leur prouve qu’il ne ménage pas plus sa chair et ses os que leur chair et leurs os, et que, par quelque luxe de vertu, il console les ames élevées de tant de misères morales, s’étalant orgueilleusement partout, et même, quoique bien
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