peut-être point d’un cœur fortement épris, dit le comte, mais, ce qui vaut mieux, elle part d’un cœur généreux et noble. Quoi que vous fassiez, je reste votre ami, et je soutiens votre détermination envers et contre tous.
Je l’embrassai, et nous passâmes le reste de la journée tête à tête, à l’auberge voisine. Il me fit raconter encore toute mon aventure, et l’intérêt avec lequel il m’interrogeait sur les plus petits détails, l’air d’anxiété secrète dont il écoutait le récit des circonstances périlleuses où ma vertu s’était trouvée à l’épreuve, me firent bien voir que ce noble cœur était fortement épris d’Alezia Aldini. En même temps qu’il souffrait d’entendre ces récits, il était évident pour moi que chaque preuve de courage et de dévouement que m’avait donnée Alezia enflammait son enthousiasme, et malgré lui ranimait son amour. À chaque instant il m’interrompait pour me dire : — C’est beau, cela, Lélio ! c’est beau ! c’est grand ! À votre place, je n’aurais pas tant de courage ! Je ferais mille folies pour cette femme. — Cependant, quand je lui donnais mes raisons (et je les lui donnais toutes, sans toutefois lui parler de l’amour que j’avais eu autrefois pour Bianca), il approuvait ma sagesse et ma fermeté ; et lorsque malgré moi je redevenais triste, il me disait : — Courage ! allons, courage ! Encore dix-huit ou vingt heures, et Alezia sera sauvée. Je crois que nous traiterons demain les Grimani de manière à leur ôter l’envie d’ébruiter l’affaire. La princesse emmènera sa fille, et un jour Alezia vous bénira d’avoir été plus sage qu’elle, car l’amour ne vit qu’un jour, et les préjugés ont des racines indestructibles.
Nous passâmes quelques heures de la nuit à mettre ordre à nos affaires ; à tout évènement, Nasi légua sa villa à la Checchina. La conduite de cette bonne fille envers Alezia avait rempli d’estime et de reconnaissance l’ame généreuse du comte.
Quand nous eûmes fini, nous prîmes quelques heures de sommeil, et, à la pointe du jour, je m’éveillai. Quelqu’un entrait dans ma chambre. C’était Checca. — Tu te trompes, lui dis-je ; la chambre de Nasi est ici proche. — Ce n’est pas lui, mais toi que je cherche, dit-elle. Écoute : il ne faut pas que tu épouses cette marchesina. — Pourquoi, ma chère Francesca ? — Je vais te le dire : les obstacles et les dangers exaltent son amour pour toi ; mais elle n’est ni si forte d’esprit, ni si libre de préjugés qu’elle le prétend. Elle est bonne, aimable, charmante ; crois-moi, je l’aime de tout mon cœur, mais elle m’a dit sans s’en apercevoir, en causant avec moi, plus de cent choses qui me prouvent qu’elle croit faire pour toi un sacrifice immense, et qu’elle