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EXPÉDITION DE CONSTANTINE.

dant la nuit du 7 au 8, c’était une bien faible consolation au grave accident qui privait le Mansoura de plusieurs pièces de 24 et de 16. L’extrême difficulté, la presque impossibilité qu’il y avait à relever ces pièces et à les remettre en état de servir, tenta l’esprit aventureux des Zouaves, leur caractère avide de louanges et leur noble passion à établir, dans toutes sortes de travaux, la prééminence de leur corps. Ils sollicitèrent cette tâche herculéenne, et obtinrent en effet la permission de s’épuiser en de grandes fatigues dans les momens où ils n’avaient pas à combattre. Le 2e léger, qui, pendant toute l’expédition, se trouva sous le même commandement que les Zouaves, s’associa à cette corvée volontaire. On vit alors ce que peut le travail passionné. Pendant deux jours et deux nuits, malgré le feu de la place et malgré l’implacable déchaînement du temps, il y eut une continuité de tentatives ingénieuses, de ces essais que rien ne décourage, et, par momens, une fougue d’efforts à briser des obstacles d’airain. Ce n’étaient pas des ouvriers agissant par crainte, par cupidité, par habitude ou même par conscience ; c’étaient des hommes à volonté forte et ardente, qui s’étaient proposé une entreprise utile, et se livraient à l’accomplissement de cette tâche de toutes les forces de leur ame et de leur corps. Deux des pièces furent relevées et mises en batterie dans la journée du 9 ; la troisième ne put l’être que le lendemain.

La nuit du 8 au 9 fut aussi pleine de misères et de calamités que la nuit précédente. La souffrance rongeait l’armée et l’exténuait. Il était temps que nos canons se fissent entendre ; leur silence attristait et irritait les troupes, et chaque boulet qui arrivait de la place dans nos camps leur paraissait une insulte de l’ennemi, un défi arrogant auquel on ne répondait pas, et une affirmation de sa supériorité que l’on ne pouvait contredire. Les soldats ignoraient sans doute quelles idées s’étaient formées dans les régions supérieures sur les chances du siége, et cependant, sans se rendre compte de leur propre pensée, ils se laissaient diriger par les mêmes inductions. Au fond de leur impatience, il y avait plus que la curiosité, plus que le désir d’une distraction, qui, en effet, au milieu de la monotonie douloureuse de leur existence, était devenue un véritable besoin ; il y avait l’inquiétude de l’avenir. Ils sentaient vaguement que le boulet, cette fois, pouvait avoir une action morale, une puissance de logique sous l’influence desquelles la question pourrait se dénouer d’elle même, tandis que peut-être il ne serait pas donné de la trancher avec le sabre dans un assaut. On avait annoncé que le feu s’ouvrirait à six heures du matin. Dès qu’il fit jour, l’on fut dans l’attente : pendant plus d’une heure encore, aucun bruit ne se fit entendre ; les soldats murmuraient, et s’imaginaient qu’on s’était joué de leur espoir. Ils ne pouvaient consentir à accorder le moindre répit au-delà du moment fixé. Enfin, vers sept heures, le feu commença. Un cri de joie de l’armée y répondit. Les soldats se pressaient sur tous les points d’où les coups pouvaient être suivis et jugés. Ceux qui portaient bien étaient salués d’un murmure approbateur. Tous les regards, toute l’attention, toute la vie des camps, étaient suspendus aux bouches des canons et aux embrasures et batteries de la place, qui servaient de but. D’abord l’ar-