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haut mamelon situé sur la rive droite du Rummel, et qui, pendant le jour, semblait être le lieu de leurs conciliabules, le pivot de leurs opérations, et l’observatoire d’où le bey venait reconnaître la marche des affaires et calculer les chances de son avenir. Ils avaient traversé la rivière et s’étaient massés par groupes assez nombreux autour de la position qu’occupaient le 47e et la cavalerie. Ils prirent l’initiative de l’attaque par une fusillade à laquelle les chasseurs voulurent répondre par le sabre. Ceux-ci fondirent au galop sur ces guerriers prompts à la fuite, mais prompts au retour offensif, et qui, même lorsqu’on les croit éperdus, ne se livrent jamais aux émotions de la déroute jusqu’à cesser de songer au moyen de reprendre l’avantage. La poursuite se fit avec un grand entraînement. Mais quelques-uns de nos cavaliers, qui, isolément et assez loin en avant des leurs, joignaient l’ennemi, furent happés et massacrés par ces fuyards, toujours invaincus.

Vers dix heures du matin, tout ce débordement d’assaillans était rentré dans son lit. Les hommes à pied avaient regagné la ville, et ceux à cheval s’étaient retirés hors du rayon des charges de notre cavalerie. À midi, le général Valée, commandant l’artillerie, vint reconnaître Kodiat-Aty et déterminer l’emplacement de deux batteries, celle de brèche et une d’obusiers. La première devait être établie à près de cinq cents mètres de la place, au pied de l’escarpement supérieur du versant oriental de Kodiat-Aty. Elle était destinée à battre une portion de rempart fortement en saillie sur la ligne générale de l’enceinte, mais en retraite par rapport à un massif carré qui la couvrait à gauche, et auquel les embrasures d’une batterie voûtée formaient un couronnement de cintres noirs. À droite, sur un plan plus reculé, se voyait un grand bâtiment en briques, que ses dimensions et quelques grossiers essais de recherche architecturale désignaient comme un édifice public. Plus loin, à droite comme à gauche, se distinguaient plusieurs batteries à ciel ouvert. Le travail de la batterie de brèche devait commencer le soir même. Il était décidé que l’épaulement de cette batterie serait composé de sacs à terre, dont on prépara et remplit une partie pendant la journée, dans un terrain dérobé aux coups de la place. Sur le Mansoura, la batterie que le matin avait surprise inachevée était précisément celle qui se trouvait à mi-côte, sur le versant du plateau tourné du côté de la ville, et parfaitement en vue et à portée du feu de l’ennemi. Cependant on continua à la compléter en plein jour, sans que les assiégés parvinssent, par l’emploi de leur artillerie, à troubler ou ralentir l’opération. La pluie avait déjà inquiété et attristé d’ondées fréquentes la plus grande partie de cette journée. Vers cinq heures du soir, elle redoubla d’intensité et dura toute la nuit, sans interruption. On la brava pourtant. Sur le Mansoura on se mit en devoir d’armer les batteries. Les pièces des deux batteries hautes y arrivèrent sans accident, en traversant le plateau ; mais pour les pièces de 24 et de 16, destinées à la troisième batterie, celle qui était placée sur une pente très rapide et toute sillonnée d’arrachemens, il était nécessaire de créer une communication. Il fallut ouvrir cette voie dans un terrain à éboulemens et à crevasses, à formations et dégradations soudaines,