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où campe habituellement la population. Comprenant de quelle difficulté et de quelle importance était pour nous l’approvisionnement de nos nombreux chevaux, ils s’étaient décidés à faire le désert autour de nous et à prendre la disette en croupe derrière eux, pour la faire galoper en tête et sur les flancs de notre armée. Mais, pour exécuter ces projets de destruction, la main leur trembla ; ils laissèrent leur œuvre incomplète. Dans la crainte de faire un sacrifice inutile et prématuré, ils prétendaient ne l’accomplir que sous le coup de la nécessité. Notre activité prévoyante devança sur beaucoup de points leur dévouement boiteux, et notre cavalerie, chassant devant elle les Arabes incendiaires, sauva des flammes d’assez abondantes ressources. Cependant l’adresse de l’ennemi à dérober les silos de grains mit en défaut notre adresse investigatrice. Il est vrai que cette fois le besoin n’était pas là, ardent et ingénieux à saisir sa proie à travers tous les obstacles. À partir de ce moment, nous pûmes compter les villages et douars qui se trouvaient à notre portée, par le nombre des nuages de feu et de fumée que nous voyions blanchir et luire le long de notre route et au-dessus des sommets voisins. Ce jour-là, on campa sur les bords du Mérès, ruisseau qui, plus loin, devient le Bou-Mesroug.

Au-delà de cette position, et jusqu’aux environs de Constantine, l’aspect du pays, déjà sombre, se rembrunit encore ; la nature, depuis long-temps dépouillée, s’écorche et se décharne ; ce qui était nudité devient ossification. Pendant presque toute la journée du 4, on longea des pentes de roches grisâtres, dont à peine les assises sont indiquées par quelques lignes de maigres herbages. Le Bou-Mesroug coule à peu près parallèlement à cette chaîne, qui est située sur sa rive droite. Les mouvemens de terrain de la rive gauche, à quelque distance en avant, se relèvent, s’arrondissent en amphithéâtre, et semblent terminer un bassin fermé. À cette limite, la rivière s’échappe à droite en se jetant dans une gorge, qui se dérobe entre plusieurs pitons de rochers. Cette position est regardée par les Arabes comme un des plus redoutables boulevards qui défendent la route de Constantine. En 1836, ils avaient essayé de prendre en ce lieu une attitude hostile, que leur firent aussitôt abandonner les premières démonstrations offensives de nos troupes. Cette année, ce passage n’était ni gardé, ni même observé. Toutes les forces actives avaient reflué autour de Constantine ; la vie s’était concentrée au cœur. On pouvait, sans crainte, sans précaution, dérouler et allonger les files d’hommes et de voitures autour des pics ardus, entre les massifs de rochers ; masques menaçans, mais sans bras pour exécuter leurs menaces. On campa en dehors de ce lieu d’embûches et sur la rive droite du Bou-Mesroug. À peu de distance, autour du bivouac, on découvrit plusieurs villages nichés comme des aires de vautours sur des plateaux rocheux. On y alla fourrager ; mais le lendemain la seconde colonne, qui était venue poser son camp sur les traces du camp de la première, ne put pas aussi paisiblement s’approvisionner aux mêmes lieux. Pendant la nuit, des montagnards s’y étaient embusqués, et, au matin, voyant déboucher un détachement d’infanterie, ils s’apprêtaient à