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leurs conventions et stipulé leurs avantages. L’Angleterre ne peut pas oublier, en effet, qu’elle a puissamment soutenu le mouvement d’émancipation des colonies espagnoles, auquel elle avait commencé à travailler dès la fin du siècle dernier ; et s’il est vrai que son système d’administration coloniale est beaucoup plus libéral, plus raisonnable, mieux entendu que ne l’était celui de l’Espagne, à cela près, c’est néanmoins encore aujourd’hui dans la question du Canada la même cause et le même droit, la cause et le droit de l’Amérique contre l’Europe. Si l’Angleterre en est réduite à faire la guerre au Canada, elle la fera, nous en sommes sûrs, et jusqu’à extinction. Mais ce sera une guerre de point d’honneur.

Toutefois on ne doit pas oublier que les Anglais se sont vus forcés de violer le territoire américain, d’y poursuivre et d’y détruire un bâtiment armé pour le compte des insurgés. La population des États-Unis, déjà disposée en faveur des Canadiens, est dans un état d’exaspération bien difficile à contenir dans un pays où le pouvoir a si peu de moyens d’exécution. Il se peut donc que de graves complications aient lieu d’un jour à l’autre, et qu’une guerre maritime entre les deux puissances nous oblige à nous entourer de tous les moyens de faire respecter notre neutralité.

Une mission française s’est rendue à Haïti pour obtenir, par les négociations, le redressement de quelques griefs. On ne peut dire encore quel sera le résultat de cette négociation, et l’on sait que les négociations n’ont que deux issues : la paix ou la guerre.

On sait quelle haine divise les deux réformateurs de l’Orient, Mahmoud et Mohammed-Ali. Le sultan ne saurait pardonner au pacha sa rébellion ; le pacha d’Égypte ne peut oublier que le sultan lui a deux fois envoyé le cordon. On dit même qu’il existe entre ces deux hommes une inimitié personnelle, qui aurait une cause morale plus encore que politique. Aujourd’hui, le feu, mal éteint par le traité de Kutahieh, serait à la veille de se rallumer. Toutes les nouvelles d’Orient annoncent de sérieux préparatifs de guerre en Syrie. Le grand duel entre les deux réformateurs recommencerait. L’Europe en a fourni les armes, car c’est surtout pour se faire la guerre l’un à l’autre que Mohammed-Ali et Mahmoud ont importé dans leur pays la civilisation européenne. Quelques politiques prétendent que Mohammed-Ali n’agit que par l’influence de la Russie, qui, sous prétexte de la défendre, s’emparerait une seconde fois de Constantinople, mais pour ne plus lâcher sa proie ; d’autres pensent que Mohammed-Ali veut profiter de la diversion opérée par la guerre de Circassie, et qu’il croit avoir l’assurance que la France et l’Angleterre ne laisseraient point intervenir la Russie dans le débat. Peut-être Mohammed-Ali n’agit-il que par lui-même. En 1833, il est allé jusqu’à trois journées de Constantinople ; il espère y arriver en 1838. Cette nouvelle pointe sur la cité que tous les souverains envient, et qui semble ne pouvoir appartenir à aucun, compliquerait beaucoup la question orientale. L’escadre française est en observation dans les eaux de Smyrne, l’escadre anglaise croise sur les côtes de