ce grand tout dont chacun d’eux dirigeait d’une manière si supérieure un détail, il est aussi grand, sinon plus grand qu’eux. M. Eugène Sue doit renoncer à ses raisonnemens ou à ses anathèmes, se résigner à accepter Louis XIV pour un grand roi ou à ne pas le traiter comme tel, c’est-à-dire à ne pas le maltraiter. Il n’est pas juste de faire supporter à un homme les charges d’un titre qu’on lui refuse.
Mais que dire quand on voit ces hommes si grands, si forts, subir, comme des hommes vulgaires, l’ascendant de celui-ci, et prosterner leur gloire devant la sienne ? Que dire quand on voit tout un siècle qui se connaissait en grandes choses, et qui en avait à choisir, s’enivrer de ce nom jusqu’au délire ? D’où venait cet enivrement ? D’où venait cet éblouissement qui frappait les étrangers eux-mêmes et les fascinait, quoiqu’il leur fût plus importun qu’agréable ? Est-ce au seul éclat de la majesté royale qu’il en faut faire honneur ? Mais un seul homme, Richelieu, suffit dans le même siècle, et en face des mêmes générations, pour éteindre complètement Louis XIII, qui régnait sur le même trône. Et Louis XIV, entouré d’une des plus riches constellations de grands hommes qui se soient jamais montrées au monde, n’en est que plus resplendissant, tant leur splendeur vient se confondre dans la sienne. Un homme nul n’entraîne pas ainsi dans son orbite tant de vastes et fermes intelligences. Tant de grands esprits et de grands courages ne s’accordent pas à être petits et lâches sur un même point, en se laissant subjuguer par un être inférieur, en mettant tout ce qu’ils ont de puissance et de génie sous les pieds d’un fétiche imbécile. Et quand ils le voudraient, ils ne le pourraient pas. L’impuissance n’absorbe pas la force ; la lumière ne s’éteint pas au contact des ténèbres.
Ainsi M. Eugène Sue s’est placé logiquement dans la nécessité d’avilir les ministres ou autres agens de Louis XIV, pour avoir voulu les faire trop grands aux dépens de la grandeur de leur maître, ou d’absoudre celui-ci pour l’avoir fait trop petit ; alternative fâcheuse, dont aurait dû le préserver l’étude consciencieuse et minutieuse qu’il a faite de cette époque ; étude trop minutieuse peut-être, car, en perçant à fond les plus minces détails anecdotiques, elle s’y est comme ensevelie et n’a pu remonter au point de vue de l’ensemble, à la perception des causes supérieures qui lient les faits généraux dans un enchaînement rigoureux. C’est là cependant qu’est tout l’enseignement de l’histoire, et le reste importe peu.
Il y a sans doute bien des côtés à reprendre dans la figure de Louis XIV, surtout si l’on veut l’étudier à la loupe. Et ce que nous reprochons à M. Eugène Sue, ce n’est pas de les avoir montrés : c’est d’avoir réduit à cela la figure entière ; c’est de l’avoir épilée en quelque sorte ; c’est d’avoir fait de l’histoire microscopique, et sacrifié au malin plaisir de mettre en vue les taches qui se remarquent sous les plis du manteau d’une grande figure historique, justice, logique et vérité. Louis XIV avait bien tous les défauts qu’il lui impute, mais aussi toutes les qualités qu’il lui conteste. Bien des cellules profondes ont été