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HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.

aidée de la chaleur renaissante du soleil, n’avait détruit toutes les adhérences de la neige avec le sol ; si le travail des siècles, aidé de l’action des eaux ou de tout autre agent, n’avait ruiné les bases de la montagne, ni la montagne, ni l’avalanche ne se seraient écroulées. C’est à ces causes puissantes qu’il faut attribuer l’évènement, et non à la cause occasionnelle, qui n’a fait que hâter ce qui aurait trouvé un tout autre moyen de se produire, si elle n’était pas intervenue, et qui eût intervenu vainement, si les autres causes n’eussent fait à elles seules tout ce qui rend son intervention efficace. S’il en était autrement, où seraient les lois de la nature ?

L’existence des peuples a aussi ses lois, et procéder ainsi que le fait M. Eugène Sue, c’est les méconnaître. Ce n’est pas là écrire l’histoire, c’est nier l’histoire, c’est-à-dire la continuité, l’enchaînement et la solidarité des faits ; c’est nier les lois organiques et souveraines qui président aux fonctions et au développement de la vie des peuples, comme aux fonctions et au développement de la vie des individus ; c’est briser le lien qui unit les choses dans une filiation logique et progressive ; c’est substituer à la cohésion d’un tout homogène et compacte un chaos mouvant dont toutes les parties se déplacent et tourbillonnent au gré du moindre vent que souffle cette puissance aveugle, instable et déréglée, qu’on nomme le caprice du plus fort ; c’est abolir tout ce qui s’appelle nation, histoire, ordre, unité. Les peuples ne sont pas une matière brute que les gouvernans pétrissent à leur gré, lui donnant aujourd’hui une forme, un caractère, une fonction ; demain, une autre fonction, une autre forme, un autre caractère. S’il en était autrement, si un peuple n’était pas par lui-même ce qu’il est, mais bien par la volonté d’un roi ou d’un ministre ; s’il n’avait pas en lui sa vie propre, et s’il la recevait un jour des mains du hasard dans une mesure et dans des conditions complètement arbitraires ; si, par conséquent, son moi ne se perpétuait pas dans la conscience toujours survivante de son identité, et dans la persistance de ses besoins, de ses instincts, de ses traditions, de son caractère et des actes qui en sont l’expression permanente, il n’y aurait rien sous ce nom de peuple, car on ne saurait à quel objet saisissable l’appliquer. Et l’histoire ? que deviendrait-elle et que signifierait-elle ? La force logique qui préside à la génération successive des faits étant supprimée, et l’initiative en toute chose appartenant, sans partage, à tous les momens de la durée et sur tous les points de l’espace, à la volonté sans règle et sans frein d’un individu, il n’y a plus de contresens ni d’anachronisme possible, car il n’y a plus de loi. On n’aperçoit plus de raison qui empêche de voir la croisade de Pierre l’Hermite, par exemple, après la révolution française, à la place d’Austerlitz, ou le pape amené captif à Fontainebleau par les gendarmes de Philippe-Auguste. Toute difficulté serait tranchée par cette explication sans réplique : C’est Louvois qui l’a voulu pour bien embarrasser Colbert, ou pour forcer Louis XIV à laisser là la truelle.

Voltaire raconte que l’empereur Charles VI étant mort empoisonné, ou, je crois, étouffé par un champignon, ce champignon changea la face de l’Eu-