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HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.

titre pacifique de médiateur, attiser une guerre qui menaçait de s’éteindre, et enfin, lorsqu’on en vint à prendre parti pour les Hollandais, se ménager avec Charles II une convention secrète en vertu de laquelle les flottes anglaise et française, nonobstant la guerre déclarée entre les deux états, s’abstiendraient d’agir l’une contre l’autre en qualité d’ennemies. Ce fut sur ces difficultés que s’aiguisèrent toutes les finesses du génie diplomatique entre les années 1663 et 1666. Comme on le voit, la tâche était compliquée. Mais l’habileté des négociateurs, aidée de l’or de Louis XIV, triompha de tous les obstacles. M. Eugène Sue a reproduit intégralement ou par extraits les pièces les plus intéressantes parmi celles qui sont relatives à ces négociations. Les lettres de Lyonne aux ambassadeurs et les réponses de ceux-ci, les lettres que le roi n’a pas dédaigné d’écrire quelquefois lui-même, tant il fallait avoir la main aux évènemens, sont de très curieuses révélations sur l’aspect intérieur de la politique du temps. Elles sont précieuses pour ceux qui, connaissant déjà l’histoire, veulent aussi en connaître le dessous.

Ce que M. Eugène Sue n’a pas cité textuellement, il l’a fondu dans des conversations qu’il suppose entre les personnages sur qui reposait la direction ou l’exécution des plans qui étaient mis en œuvre, et où il les fait discourir et exposer leurs vues sur les questions dont la solution leur était confiée. Ce procédé sort complètement des habitudes ordinaires de l’histoire et donne à celle-ci les allures extérieures d’un roman. Mais tout dans son livre, bien que puisé à des sources authentiques et indiquées en note ou dans le corps de l’ouvrage, annonce qu’il n’a pas voulu faire une histoire selon le sens usité du mot. Ce sont plutôt de vastes miscellanées ou pandectes historiques où sont recueillies et classées avec toute la suite et la méthode possibles, toutes les particularités de mœurs privées ou publiques, de vie ou de judicature maritime, d’administration, de politique, dont le souvenir a pu se perpétuer dans un moment quelconque. C’est moins une histoire qu’une revue générale du xviie siècle qui, à certains égards et pour la latitude du plan, rappelle le travail de Barthélemy sur la Grèce. M. Eugène Sue n’a même pas dédaigné les contes traditionnels qui charmaient alors les loisirs du bord, et il nous en a donné plus d’un échantillon. Ainsi l’histoire prodigieuse d’un homme marin habillé en évêque ; ainsi la singulière histoire du roi nègre matelot et compagnon de Ruyter ; ainsi les fabuleuses histoires de Turcs qui circulaient parmi les soldats de l’expédition de Candie ; ainsi tous les contes véridiques et surtout prolixes du brave et naïf Haran Sauret, le fidus Achates de Jean Bart. D’autres fois ce sont des tableaux d’intérieur, comme la maisonnette de Ruyter, la famille de Jean de Witt, l’auberge du Cochon gras, la description de l’hôtel de Colbert d’après un inventaire fait après sa mort, etc.

À côté de ces détails qui semblent avoir un but amusant, au moins autant qu’instructif, viennent des documens sérieux et d’un haut intérêt. Dans ce nombre il faut ranger le mémoire où sont exposés les principes de Colbert sur la marine. C’est là une de ces pièces qui entrent comme un lot des plus précieux dans l’héritage qu’un siècle lègue aux siècles qui le suivent. C’est, pour ainsi