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HISTOIRE DE LA MARINE FRANÇAISE.

pour l’objet de son travail et pour son travail lui-même est telle, elle l’a si bien pénétré, elle est si bien devenue sa conseillère assidue et de tous les instans ; elle est si bien l’origine, le principe, soit de ses idées de détails, soit des idées fondamentales et de celles qui président à l’ordonnance et à la conduite de l’ouvrage, que, si elle a donné à celui-ci la plupart de ses mérites, elle lui a donné aussi la plupart de ses défauts.

M. Eugène Sue a fait pendant plusieurs années des recherches étendues dans les sources connues et dans des sources encore inexplorées. Tout animé de l’enthousiasme de ses découvertes et chargé d’un butin où tout est devenu précieux pour lui, il se hâte de le répandre dans son livre sans facilement consentir à en rien perdre. Chaque page atteste aux yeux des moins clairvoyans ou des moins attentifs ce qu’elle a coûté ; et chaque page achevée semble être pour lui une conquête, tant l’animation du travail préliminaire et la confiance dans les résultats dont il ouvre le chemin y ont empreint le sceau d’une chaleur toute juvénile. Plus d’une de ces pages est une véritable conquête en effet ; outre les manuscrits de la Bibliothèque royale et des archives du royaume, M. Eugène Sue a su se faire ouvrir les archives des ministères de la marine, des affaires étrangères et de Versailles, et il a eu la patience de compulser avec une attention scrupuleuse les dépôts poudreux et infréquentés qu’on pourrait appeler les catacombes de l’histoire. Il en a rapporté nécessairement bon nombre de documens curieux et inédits qui sont autant d’exhumations. C’est là ce dont il semble avoir voulu faire la partie intéressante de son ouvrage par le soin minutieux qu’il a pris d’en multiplier les citations et de les substituer à son propre récit, qu’elles viennent à chaque instant interrompre et remplacer. Dans une grande partie de son histoire, M. Eugène Sue n’intervient comme narrateur que pour lier les pièces entre elles, ou pour les commenter selon ses vues.

Nous n’accordons pas une valeur exagérée aux renseignemens inconnus que l’on peut découvrir ou divulguer encore sur des époques historiques assez voisines de nous. Sans doute ils peuvent contribuer à nous faire entrer dans une familiarité plus intime, plus domestique, en quelque sorte, avec les temps auxquels ils se rapportent, et en cela ils ont leur utilité ; mais il est peu probable qu’ils soient de nature à jeter un jour nouveau sur les questions importantes ou à en faire jaillir de nouvelles dont les élémens manquaient aux débats qui ont été vidés avant nous. Tout ce côté purement historique de l’histoire est suffisamment éclairé. Les documens surabondent, la discussion peut trouver dans la masse immense de témoignages directs ou indirects que ces époques nous ont laissés sur leur existence et qui nous circonviennent de toutes parts, dans leurs traditions encore vivantes et qui n’ont pas cessé de se perpétuer dans certaines parties de notre établissement politique, civil ou domestique, un arsenal complet et suffisant à tous les besoins constatés ou éventuels. À partir de deux ou trois siècles en arrière de nous, tout le bloc de l’histoire est taillé, et la statue peut s’achever, nous le croyons du moins, sans qu’il y ait besoin d’y rapporter après coup des pièces nouvelles.