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RÉPONSE À GEORGE SAND.

peuvent écrire comme lui. C’est l’homme extraordinaire et fatal que le vieux catholicisme a perdu, et que doit conquérir de plus en plus le génie philosophique ; c’est le théologien ultramontain, à moitié converti, que je caractérisais en 1832 ; c’est le révolutionnaire que je défendais en 1834 contre ses adversaires, et que j’appelais avec raison le seul prêtre de l’Europe, car il était prêtre encore, en s’élevant contre les puissans, même en désobéissant au pape ; c’est enfin l’auteur du Livre du Peuple, qui dépouille aujourd’hui devant lui le catholicisme, comme un vêtement qui l’obsède, qui néanmoins s’appelle encore chrétien, et auquel je demande avec raison quel est son christianisme.

Pourquoi parlez-vous, madame, de l’abbé Châtel, quand je parle d’Arius et de Luther ? En 1832, j’ai dit à M. de La Mennais puisqu’il avait le goût du schisme, d’en avoir le courage, et vous savez que sa soumission passagère au pape a été en effet suivie d’une révolte éclatante. Il n’y a donc plus à revenir sur ce passé. Mais aujourd’hui il y va d’un intérêt nouveau, plus grand, et qui aurait pu frapper un esprit comme le vôtre. M. de La Mennais se montre dans le Livre du Peuple, démocrate et chrétien ; il a, s’il m’est permis de rappeler mes expressions, cousu une page du catéchisme à un lambeau du Contrat social. Cette association est-elle juste ? La dernière partie du livre ne détruit-elle pas la seconde ? Voilà la question. Ne seriez-vous pas curieuse de connaître sur ce point l’opinion de Rousseau lui-même, dont M. de La Mennais a embrassé les principes ?

« Je me trompe, écrit Rousseau dans l’avant-dernier chapitre du Contrat social, en disant une république chrétienne ; chacun de ces mots exclut l’autre. Le christianisme ne prêche que servitude et dépendance ; son esprit est trop favorable à la tyrannie pour qu’elle n’en profite pas toujours. Les vrais chrétiens sont faits pour être esclaves ; ils le savent et ne s’en émeuvent guère ; cette courte vie a trop peu de prix à leurs yeux… » Et encore : « La religion chrétienne, loin d’attacher les cœurs des citoyens à l’état, les en détache comme de toutes choses de la terre : je ne connais rien de plus contraire à l’esprit social. »

Ainsi, Jean-Jacques, loin de faire du christianisme le corollaire de sa théorie de la souveraineté du peuple, le déclare anti-social ; et cependant l’auteur du Livre du Peuple, fidèle à Rousseau sur le premier point, s’en sépare sur le second. Pourquoi ? Qui a raison, du maître ou du disciple ?

Avouez donc, madame, que tout conduit M. de La Mennais à