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le texte même de la loi promulguée par le maître. Mais s’il laisse de côté les commentaires et les développemens de ceux qui se sont posés comme les continuateurs immédiats du Christ, n’est-ce pas à la charge d’apporter lui-même des commentaires nouveaux et d’autres développemens ? L’Évangile est scellé, car, suivant les paroles même du Livre du Peuple, il sera ouvert devant les nations dans l’avenir, et il serait permis à l’homme qui se sépare ouvertement de toutes les explications antérieures, de s’abstenir de tout effort pour éclairer le genre humain !

Oui, dites-vous, il est injuste de demander quelque chose à M. de La Mennais ; il enseigne ce qu’il croit et ce que beaucoup avec lui croient juste ; il attaque du présent tout ce qui lui semble mauvais, sans être obligé de dire ce qu’il faut mettre à la place… Entendons-nous, madame ; je n’ai pas demandé à M. de La Mennais de nous dérouler l’histoire du xxe siècle, mais seulement de donner à sa pensée un développement ultérieur ; aussi je ne crois pas que vous réussissiez à me mettre en contradiction avec moi-même, en citant une de mes phrases où je dis qu’il serait puéril de vouloir prophétiser en détail les incidens et les formes par lesquelles doit passer l’humanité. Pas de prophéties, mais un système d’idées qui s’élève sur les ruines et les négations accumulées.

Prenez garde que dans votre ardeur à défendre M. de La Mennais, vous ne détruisiez vous-même sa grandeur réelle, et celle que l’imagination se plaît à lui décerner. On le presse d’affirmer quelque chose après avoir tout nié, et vous vous hâtez de répondre pour lui qu’il n’est obligé à rien. Eh ! madame, mes exigences sont un hommage, et vos fins de non-recevoir, presqu’une atteinte à son génie. Aussi, à la fin de votre lettre, vous efforcez-vous de retirer ce que vous avez allégué, car vous nous représentez M. de La Mennais sur des pentes escarpées, dans des sentiers inconnus, descendant dans des abîmes, et allant le premier à la découverte de la terre promise… Que demandé-je autre chose que de voir le prêtre breton, comme un autre Moïse, montrer au peuple un autre Chanaan ? Mais il y a ici une option nécessaire ; on ne peut à la fois ressembler à tout le monde, et se trouver seul et le premier dans des sentiers inconnus, dans des abîmes ; on ne peut en même temps marcher au milieu de plusieurs dans la plaine et s’égarer solitaire sur la cime des monts, au milieu des nuages.

Le véritable La Mennais, à mes yeux, est, non pas un démocrate enrégimenté qui écrit des choses utiles sans doute, mais que d’autres