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LA DERNIÈRE ALDINI.

m’inspire, malgré les tracasseries dont ma tante m’abreuve, malgré l’ardent désir que j’éprouve de revoir ma bonne mère et ma chère Venise ; enfin, malgré la grande estime que j’ai pour vous, monsieur le comte, j’ai refusé. Vous avez dû croire que j’accordais la préférence à mon cousin… Tenez ! dit-elle en s’interrompant et en portant avec calme ses regards vers la croisée, le voilà qui entre à cheval jusque dans votre jardin. Arrêtez, monsieur Lélio, ajouta-t-elle en me saisissant le bras, comme je m’élançais pour sortir ; vous m’accorderez bien qu’en cet instant il n’y a ici d’autre volonté à écouter que la mienne. Placez-vous avec Lila devant cette porte jusqu’à ce que j’aie fini de parler.

Je dérangeai Lila, et je tins la porte à sa place. Alezia continua :

— J’ai refusé, monsieur le comte, parce que je ne pouvais loyalement accepter vos honorables propositions. J’ai répondu à l’aimable lettre que vous aviez jointe à celle de ma mère.

— Oui, signora, dit le comte, vous m’avez répondu avec une bonté dont j’ai été fort touché, mais avec une franchise qui ne me laissait aucun espoir ; et si je reviens dans le pays que vous habitez, ce n’est point avec l’intention de vous importuner de nouveau, mais avec celle d’être votre serviteur soumis et votre ami dévoué, si vous daignez jamais faire appel à mes respectueux sentimens.

— Je le sais, et je compte sur vous, répondit Alezia en lui tendant sa main d’un air noblement affectueux. Le moment est venu, plus vite que vous ne l’auriez imaginé, de mettre ces généreux sentimens à l’épreuve. Si j’ai refusé votre main, c’est que j’aime Lélio ; si je suis ici, c’est que je suis résolue à n’épouser jamais que lui.

Le comte fut si bouleversé de cette confidence, qu’il resta quelques instans sans pouvoir répondre. À Dieu ne plaise que je blasphème l’amitié du brave Nasi ; mais en ce moment, je vis bien que chez les nobles il n’est pas d’amitié personnelle, de dévouement ni d’estime qui puissent extirper entièrement les préjugés. J’avais les yeux attachés sur lui avec une grande attention, je lus clairement sur son visage cette pensée : « j’ai pu, moi comte Nasi, aimer et demander en mariage une femme qui est amoureuse d’un comédien et qui veut l’épouser ! »

Mais ce fut l’affaire d’un instant. Le bon Nasi reprit sur-le-champ ses manières chevaleresques. — Quoi que vous ayez résolu, signora, dit-il, quoi que vous ayez à m’ordonner en vertu de vos résolutions, je suis prêt.

— Eh bien ! monsieur le comte, reprit Alezia, je suis chez vous, et