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RÉPONSE À GEORGE SAND.

nature de sa condition et de son existence, est du peuple comme l’ouvrier ; et que s’il s’en distingue par des avantages qui peuvent être conquis, il n’en est pas séparé par un privilége incommunicable.

Enfin, quelles sont les conclusions de la partie politique de votre lettre ? Vous laissez entendre que la bourgeoisie, sans y être forcée, ne renoncera jamais aux moyens qu’elle possède de jouir plus que le peuple en travaillant moins ; vous considérez le pouvoir politique comme une ville forte, fermée de toutes parts, où l’on n’entre jamais que d’assaut. Je vous répondrai que les grandes insurrections comme la résistance des Américains en 1776, comme les deux mouvemens de 1789 et de 1830, ont eu pour causes des idées justes et des passions généreuses, qu’elles avaient été proclamées raisonnables, nécessaires et légitimes par une immense majorité, même avant leur triomphe définitif. Pour que la force puisse être appelée au secours des idées, il faut que la société soit convaincue, d’abord, qu’il n’y a plus pour elle d’autre issue que la lutte, et aussi que les idées pour lesquelles on l’appelle à combattre sont les plus vraies et les meilleures.

Mais heureusement, après avoir indiqué un parti extrême, vous dites ne réclamer qu’une chose, la possibilité pour chacun de faire entendre ses désirs et ses besoins, de mettre sa boule dans l’urne sociale ; vous avez écrit ces mots : Le peuple, trop peu intelligent pour gouverner lui-même, le sera bien assez pour reconnaître ceux qui seront les plus aptes à le faire pour lui. C’est avec une joie infinie que je vous vois répéter l’observation échappée à Montesquieu il y a un siècle : Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité. Comment contester sans aveuglement le bon sens inné du peuple, et sans égoïsme le droit qu’il a de développer sa raison et de l’appliquer à la direction de ses propres destinées ? Ici, madame, nous tomberons d’accord : pas plus que vous, je ne me trouve satisfait d’un système électoral qui ne reconnaît l’habileté politique qu’à deux cent mille citoyens. Le problème de l’élection me paraît appeler tous les efforts des publicistes, et ce n’est pas hier que j’ai tracé ces lignes : C’est dans le pouvoir législatif que la France doit porter une révolution pacifique et progressive ; elle voudrait que l’intelligence fût admise au partage des droits sociaux avec la propriété.

Maintenant examinons ensemble, si bon vous semble, le christianisme de M. de La Mennais.

Il est reconnu entre nous que M. de La Mennais nie également le catholicisme et le protestantisme, et qu’il ne prend plus pour code que