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quête, et qu’exploitait aussi, d’une façon égoïste l’arbitraire des gouvernans, Rousseau fit entendre le cri du droit individuel et se mit à proclamer que la loi était l’expression de la volonté générale. Cette définition, dont la justesse était incomplète, avait le mérite de résumer, dans une énergique précision, les tendances et les passions du siècle. Dans le style politique, la volonté devait primer l’intelligence à une époque où les esprits, saturés de théories, aspiraient à l’action. C’est la gloire éternelle de Rousseau d’avoir inspiré nos pères, d’avoir évoqué, pour ainsi dire, les puissances actives de notre révolution, les théoriciens de la Constituante, Condorcet, Mme Rolland et la Gironde, la tribune de la Convention. Mais ces temps ont disparu, il n’en reste plus que d’immortels souvenirs, et d’autres réalités nous provoquent à d’autres pensées.

Si Rousseau écrivait à une époque où le complet désaccord des idées avec les institutions provoquait un changement radical ; nous, aujourd’hui, nous vivons dans un temps où les héritiers de la grande révolution que précéda Jean-Jacques ont besoin, pour accomplir dans la pratique de nouveaux progrès qui soient durables, de demander à la science sociale des évolutions nouvelles. Quelle est aujourd’hui notre plaie la plus vive, si ce n’est l’anarchie des esprits que tout accuse, jusqu’à la lettre même qu’en ce moment, madame, j’ai l’honneur de vous écrire ? Vous seriez-vous crue dans l’obligation d’intervenir en faveur de M. de La Mennais ; lui aurais-je adressé moi-même des critiques que j’estime fondamentales ; et vous adresserais-je aujourd’hui la défense de ces critiques, sans ces divisions intellectuelles auxquelles ne peuvent échapper les intentions les plus droites et les plus consciencieuses ? Permettez-moi de vous dire, madame, qu’aujourd’hui, la langue et la méthode du Contrat social ne suffisent plus à la situation ; je voudrais que vos amis et vous fussiez convaincus que la science politique n’échappe pas plus que les autres sciences à la nécessité de renouveler, dans chaque siècle, ses procédés et son style.

Et vous-même, ne reproduisez-vous pas, non les réminiscences du siècle dernier, mais les inspirations de votre époque, quand vous écrivez ces lignes : La législation ne sera plus autre chose que la manifestation de l’esprit humain, représenté dans son ensemble par la coopération médiate et immédiate de toutes ses parties ? La loi sociale est donc, pour vous comme pour nous, la manifestation de l’esprit humain. Mais l’esprit humain existe-t-il sans le développement de l’éducation ? Or, si l’éducation est nécessaire pour donner à l’esprit sa