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Voltaire, est pourtant celui de nos poètes qui le premier a mis en scène le moyen-âge sous son propre nom ; le premier, Voltaire nous a présenté des héros chevaleresques avec leurs costumes et non sous le manteau grec, ou la toge romaine.

La révolution qui a frappé le passé, a frappé tout ce qui venait de lui, dans la littérature et dans la société, et la chevalerie comme le reste. Après la révolution une voix s’est élevée encore ; celui dont le génie ranimait dans le monde de la religion et de l’imagination les traditions du moyen-âge, a fait entendre comme un harmonieux écho de la poésie chevaleresque dans le Dernier des Abencerrages. Depuis, on n’a tenté en ce genre que d’impuissans efforts. L’empire, quand les idées aristocratiques et féodales sont venues à la suite des idées militaires, a cherché à raviver les traditions chevaleresques ; il n’en est résulté que quelques romances. La restauration a fait un effort en faveur de la littérature chevaleresque, effort artificiel et intéressé qui n’a rien produit de remarquable. Enfin, depuis 1830, il n’y a pas eu, que je sache, un essai, grand ou petit, célèbre ou obscur, de littérature chevaleresque ; c’est que cette littérature a besoin de cet ensemble d’idées, de sentimens, de mœurs, qui constituait la chevalerie et qui s’efface chaque jour davantage. Tout ce qui tient au passé s’y enfonce avec une effrayante rapidité ; nous sommes comme sur le chemin de fer ; sans éprouver aucune secousse, sans nous apercevoir, pour ainsi dire, que nous marchons ; tout à coup, les objets qui étaient là tout proche ont disparu ; ainsi disparaît rapidement et sans secousse ce qui subsiste encore du passé. Les derniers restes de la chevalerie se sont abîmés dans ce grand naufrage ; elle-même ne trouve plus d’expression dans la littérature. Nous sommes donc arrivés à la fin de cet immense et glorieux développement de la poésie chevaleresque dont nous observions tout à l’heure le point de départ et les commencemens.

Ce qui se passe dans la littérature à cet égard tient à ce qui se passe au fond de la société. On ne saurait nier que certains sentimens qui ont fait faire de grandes choses, qui ont été pendant des siècles le principal mobile des actions et de la conduite, perdent de leur empire. Notre âge est peu chevaleresque, il faut le dire ; le calcul positif l’emporte sur l’exaltation désintéressée. Sans doute de nouveaux principes de moralité sociale, sans doute des sentimens que nos pères ne connaissaient pas ou connaissaient à peine, paraissent devoir remplacer l’ancienne conscience de la société française : ce qui s’appelle patriotisme, ce qui s’appellera un jour humanité, pourra tenir lieu peut-