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faits à l’Orient ; mais ce n’est là qu’un accessoire bien léger et une parure de la chevalerie. Son armure a donc été trempée par la Germanie, bénie par le christianisme, et blasonnée par l’Orient.

Enfin les deux chevaleries, la musulmane et la chrétienne, se sont rencontrées une troisième fois sous les murs de Grenade, où les Maures sont restés quatre siècles après que le reste de la Péninsule était délivré. Pendant ce long espace de temps, la haine s’était tempérée par les relations des deux peuples, et il s’était opéré comme une fusion entre les deux chevaleries. Plusieurs passages de l’histoire de Conde, histoire écrite uniquement d’après des documens arabes, montrent que vers la fin de l’existence du royaume de Grenade, dans le XVe siècle, les rapprochemens des guerriers mauresques et des guerriers chrétiens étaient perpétuels. « En ce temps (en 1417), les chevaliers de Castille et d’Aragon avaient la coutume d’aller à la cour du roi maure de Grenade, pour y traiter de leurs contestations, et le faisaient juge de leurs différends ; le roi leur donnait le champ pour leurs défis et leurs combats d’honneur, et il était si grand pacificateur, qu’à peine le combat commencé, il les déclarait bons chevaliers et les faisait s’en retourner amis, et partir, unis et honorés de sa cour. »

Vous voyez la cour du roi maure servir d’asile et de champ de combat aux guerriers chrétiens, et ce roi lui-même devenir l’arbitre de leurs différends, et en quelque sorte le juge de leur honneur. Un ouvrage qui peint avec une assez grande fidélité cette chevalerie, moitié chrétienne, moitié musulmane, c’est le livre de Perez de Hita, sur les guerres civiles de Grenade. L’auteur assure qu’il a puisé dans des histoires et des romances arabes, et cite quelques-unes de ces dernières, qui ont évidemment un caractère mauresque. C’est de cette histoire romanesque et poétique, mais basée sur des traditions qui ne sont pas entièrement fictives, qu’a été tiré à peu près tout ce qu’on sait sur les fameuses querelles des Zégris et des Abencerrages. Ce livre montre les chrétiens et les Maures aux prises, mais sans mélange d’aucune inimitié de nation et de religion. Chaque jour les chevaliers castillans viennent adresser des défis aux hidalgos maures (los hidalgos moros). Ces défis donnent lieu à de beaux combats dans la vega de Grenade, tandis que les dames mauresques les regardent du haut des tours de l’Alhambra. Les discours que s’adressent les combattans avant de croiser la lance et le glaive sont toujours d’une extrême courtoisie ; ils s’applaudissent d’avoir à combattre un si vaillant adversaire, qui relèvera leur victoire s’ils doivent vaincre, et honorera leur défaite s’ils doivent succom-