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DE LA CHEVALERIE.

en cite un entre autres, en Allemagne, dans lequel il mourut soixante personnes. Les conciles et les papes prononcèrent fréquemment l’excommunication contre les auteurs des tournois, contre ceux qui y assistaient, et refusèrent la sépulture à ceux qui y mouraient. C’était en partie par esprit d’humanité, mais ce n’était pas seulement pour cette raison, car il aurait fallu défendre bien plus sévèrement encore la guerre ; ce n’était pas seulement parce qu’on posait en principe que ceux qui étaient frappés subitement pouvaient mourir en péché mortel, car la même chose aurait pu se dire du trépas trouvé dans une bataille ; non, dans la colère acharnée dont l’église fut toujours animée contre les tournois, il y avait autre chose ; il y avait un peu de son antipathie contre tout ce qui était chevaleresque, et qu’elle n’était pas parvenue à s’approprier complètement. C’est ce qui explique comment Innocent III, au concile de Latran, prononce contre les tournois des paroles aussi vives ; il les appelle des jeux abominables, qui sont la mort du corps et de l’ame. Il refuse la sépulture ecclésiastique à tous ceux qui y prendront part. Quelquefois l’église était obligée de céder aux passions, aux mœurs du temps ; ainsi, en 1175, en Saxe, après un tournoi où seize personnes avaient péri, l’évêque Weichman excommunia tous ceux qui assisteraient à de semblables divertissemens. Le fils du margrave de Meissen ayant bravé cette défense et ayant succombé, l’évêque refusa la sépulture dans son église ; toute la famille du prince et toute la noblesse du pays tombèrent aux pieds du prélat, l’assurant que le mort avait pleuré ses péchés. Le prélat se laissa toucher, mais ce fut après que le père et les frères du défunt eurent promis de ne jamais assister à un tournoi, de n’en point souffrir sur leurs terres, de ne permettre à aucun de leurs sujets où serviteurs d’y assister. Ici l’église, même en cédant et en pardonnant à la fin, réserve toujours en principe l’inviolable sévérité de ses prescriptions contre les tournois. Mais d’autres fois il fallut composer avec les puissans de la terre ; la chronique de Saint-Denis, citée par Sainte-Palaye, raconte le fait suivant :

« Le cardinal Nicolas défendit tous tournoiemens aux joûtes ; et tant contre les souffrans et aydans, et mêmement contre les princes qui en leurs terres les souffraient il jeta grande sentence contre eux, et après ce soumettait leurs terres à l’interdit de l’Église ; mais après, le pape, à la requête des fils du roi et maints autres hommes, dispensa avec eux, parce qu’ils étaient nouveaux chevaliers, pour ce que, pour trois jours devant carême, ils pussent auxdits jeux jouer seulement, et non plus. »