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DE LA CHEVALERIE.

Ce qui donne à penser que l’auteur est un prêtre ; on peut le conclure aussi d’un autre passage. Au reste, le poème tout entier va très bien à un auteur clerc. Enfin il conclut en énumérant les honneurs qu’il faut accorder aux chevaliers qui défendent la sainte église et les priviléges dont ils doivent jouir, entre autres celui d’occire quiconque manquerait de respect pour le service divin.

Cette conclusion rappelle le mot naïf de saint Louis quand il conseillait si paternellement au bon Joinville, s’il se trouvait jamais présent à une discussion théologique, de se bien garder de disputer avec les mécréans, mais de leur bouter son épée dans le ventre, aussi fort et aussi avant que possible.

Ce poème montre à quel point l’église s’était emparée de la chevalerie. Cependant l’opposition qui était au fond de ces deux institutions ne cessa pas de se produire ; la chevalerie eut toujours une certaine indépendance vis-à-vis de l’église, et celle-ci conserva toujours une certaine antipathie pour la chevalerie. La chevalerie était par son essence même quelque chose de guerrier et de profane, et l’église quelque chose de pacifique et de religieux. Il y avait là le germe tantôt d’une lutte sourde, tantôt d’une désaffection marquée. Cervantes, que je cite souvent, car son livre est celui qui, sous une forme plaisante, résume peut-être le plus complètement toute la chevalerie, Cervantes a eu un sentiment très juste et très fin de cette déplaisance que devait inspirer à l’église le côté profane des sentimens chevaleresques et cette espèce d’idolâtrie amoureuse qu’on opposait au culte divin. Vivaldo dit à don Quichotte : « Une chose qui, parmi bien d’autres, me choque de la part des chevaliers errans ; c’est que lorsqu’ils se trouvent en quelque grande et périlleuse aventure où ils courent manifestement le risque de la vie, jamais, en ce moment critique, ils ne se souviennent de recommander leur ame à Dieu, comme tout bon chrétien est tenu de le faire en semblable danger ; au contraire, ils se recommandent à leur dame avec autant d’ardeur et de dévotion que s’ils en eussent fait leur dieu, et cela, si je ne me trompe, sent quelque peu le païen. » En effet, cette préoccupation galante était une infidélité à l’église, et Sancho, qui va plus rondement en besogne, à la suite d’une comparaison assez longue faite par son maître entre la vie des religieux et celle des chevaliers errans, conclut peu chevaleresquement, comme à son ordinaire, mais selon l’orthodoxie, qu’il vaut mieux être un moinillon qu’un chevalier pour aller en paradis.