Je voulais savoir si elle vous aimait, Lélio ; si elle était aimée de vous, si elle avait des droits sur vous, si vous me trompiez. Pardonnez-moi tous deux ; vous êtes si bons : vous me pardonnerez, et vous m’aimerez aussi, n’est-ce pas, madame ?
— Chère madonetta ! je t’aime déjà de toute mon ame, répondit la Checchina en lui passant ses grands bras nus autour du cou et en l’embrassant à l’étouffer.
Je désirais terminer cette scène et renvoyer Alezia chez sa tante. Je la suppliai de ne pas s’exposer davantage, et je me levai pour faire avancer son cheval ; mais elle me retint en me disant avec force : — À quoi songez-vous, Lélio ? Renvoyez chevaux et domestique chez ma tante ; demandez la poste, et partons sur-le-champ. Votre amie sera assez bonne pour nous accompagner. Nous irons trouver ma mère, et je me jetterai à ses pieds en lui disant : « Je suis compromise, je suis perdue aux yeux du monde, je me suis enfuie de chez ma tante en plein jour, avec éclat. Il est trop tard pour réparer le tort que je me suis fait volontairement et délibérément. J’aime Lélio, et il m’aime ; je lui ai donné ma vie. Il ne me reste sur la terre que lui et vous. Voulez-vous me maudire ! »
Cette résolution me jetait dans une affreuse perplexité. Je la combattis en vain. Alezia s’irrita de mes scrupules, m’accusa de ne pas l’aimer, et invoqua le jugement de Francesca. Celle-ci voulait monter en voiture avec Alezia, et la conduire à sa mère sans moi. Moi, je voulais décider la signora à retourner chez elle, à écrire de là à sa mère, et à attendre sa réponse pour prendre un parti. Je m’engageais à ne plus avoir aucun scrupule de conscience, si la mère consentait ; mais je ne voulais pas compromettre la fille : c’était une action odieuse que je suppliais Alezia de m’épargner. Elle me répondait que, si elle écrivait, sa mère montrerait la lettre au prince Grimani, et que celui-ci la ferait enfermer dans un couvent.
Au milieu de ce débat, Lila, que Cattina s’efforçait en vain d’arrêter dans l’escalier, se précipita impétueusement au milieu de nous, rouge, essoufflée, près de s’évanouir. Quelques instans se passèrent avant qu’elle pût parler. Enfin elle nous dit, en mots entrecoupés, qu’elle avait devancé à la course le seigneur Hector Grimani, dont le cheval était heureusement boiteux, et ne pouvait passer par les prairies fermées de haies vives, mais qu’il était derrière elle, qu’il s’était informé tout le long du chemin de la route qu’Alezia avait suivie, et qu’il allait arriver dans un instant. Toute la maison Grimani savait, grace à lui, la fuite de la signora. En vain la tante avait voulu faire des