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sage remarquable, sur les bourgeois : « Il en est qui ont beaucoup de belles qualités ; ils sont aimables, bons, joyeux. (Joyeux est toujours employé pour désigner l’exaltation chevaleresque.) Lorsqu’ils ne sont pas trop riches, ils savent parler poliment ; dans les cours, ils se montrent agréables et empressés de plaire ; ils s’entendent au service des dames, à la danse et aux tournois. » Ce sont toutes les perfections du chevalier que ce troubadour bourgeois prête à la bourgeoisie.

Dans certaines villes d’Allemagne, existait une grande bourgeoisie en lutte avec la noblesse féodale, et protégeant souvent contre elle les citadins et les marchands. C’était ce qu’on appelait des bourgeois chevaleresques, ritterliche bürger. Ils étaient armés comme les chevaliers dont ils avaient les mœurs, et même ils fréquentaient les tournois.

Maintenant, si nous examinons les rapports de la chevalerie, non plus avec l’institution féodale, mais avec le pouvoir central, le gouvernement, nous serons frappés d’un fait qui n’a peut-être pas été assez remarqué ; on aperçoit souvent que la chevalerie fait un certain ombrage à l’autorité ; c’était une puissance qui avait en elle son principe indépendant ; cette puissance et ce principe pouvaient paraître une cause de résistance, comme la féodalité, comme le clergé ; de là un mauvais vouloir caché de l’autorité pour la chevalerie. Depuis que la société, vers la fin du moyen-âge, commençait à devenir de plus en plus régulière, que la police des états modernes commençait à s’établir et à se fonder, l’esprit indépendant, aventureux, excentrique, de la chevalerie, pouvait être fort gênant pour cette police nouvelle et pour le gouvernement qui tendait à la faire prévaloir. Nous avons vu que, lorsque Ulric de Lichtenstein s’avise de courir le monde en dame Vénus pour rompre des lances à tous venant, la puissance civile montre peu de goût pour cette singulière manière d’agir, par laquelle le bon ordre est troublé ; que le podestat de Trévise ne se soucie nullement d’autoriser de pareilles rencontres, et ne cède qu’à la prière des dames. On pourrait citer beaucoup d’exemples de cette opposition du gouvernement à la chevalerie, opposition que motivait suffisamment tout ce qu’il y avait d’imprévu, de désordonné dans les inspirations et les habitudes chevaleresques. Cervantes, qui arrive toujours au plus grand effet comique en laissant l’idée chevaleresque se développer complètement en présence de la société et en contraste avec elle ; Cervantes a eu le sentiment de cette opposition ; et, pour être très divertissant, il s’est borné, comme à l’ordinaire, à faire appliquer par son héros les maximes de la chevalerie dans toute leur ri-