Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 13.djvu/430

Cette page a été validée par deux contributeurs.
426
REVUE DES DEUX MONDES.

choses étaient distinctes dans leur principe ; des témoignages positifs l’attestent. On peut prouver, par divers passages tirés des édits de différens souverains, qu’on distinguait militia, c’est-à-dire la noblesse, la féodalité armée, de ce qu’on appelait nova militia, la nouvelle milice, honor militaris, l’honneur militaire, expressions qui désignaient la chevalerie elle-même. Un édit de Frédéric II, qui a pour but de faire de la noblesse une condition de la chevalerie, prouve qu’il n’en était pas ainsi auparavant ; les deux choses, la milice ou la noblesse féodale, et l’honneur militaire ou la chevalerie, y sont opposées nettement l’une et l’autre. Le texte de l’édit porte « que personne dorénavant ne soit élevé à l’honneur militaire (c’est-à-dire ne reçoive la chevalerie), s’il n’est de race noble. » Conrad, fils de Frédéric, écrit aux habitans de Palerme qu’il veut être fait chevalier. Bien qu’en vertu de la noblesse du sang que la nature lui a donnée, les commencemens (auspicia) de l’honneur militaire ne lui manquent pas, cependant il désire ceindre le baudrier de chevalerie (militiæ cingulum). « Comme notre sérénité n’a pas encore reçu ce signe que la vénérable antiquité a consacré, nous avons choisi le premier jour d’août pour en décorer notre flanc avec la solennité du noviciat (tirocinii). » Ce passage curieux montre qu’on reconnaît une différence entre l’honneur militaire, la chevalerie que confère le baudrier, et la noblesse du sang. D’autre part, Conrad établit que la noblesse du sang est, jusqu’à un certain point, un commencement de chevalerie, ce qui ne l’empêche pas de vouloir l’obtenir d’une manière encore plus complète par une admission solennelle. Cet empiètement de la féodalité, qui fit de la noblesse une condition de la chevalerie, eut donc lieu d’abord en Allemagne ; on le trouve à peu près vers la même époque en Aragon. Selon Ducange, ce fut au commencement du xiiie siècle que le titre de chevalier fut donné aux nobles de préférence, en sorte que miles devint synonyme de gentilhomme ; il cite Adrien de Valois, qui dit avoir trouvé la première trace de cette confusion dans une charte de 1266. L’opinion de ces savans hommes s’accorde, comme on voit, avec les faits mentionnés plus haut, et montre que si la noblesse féodale a absorbé la chevalerie, et a fini par être une condition de la chevalerie, il n’en fut pas ainsi dès l’origine.

Jamais la chevalerie, bien que fortement envahie par la féodalité, ne fut purement aristocratique ; jamais elle ne se recruta exclusivement dans l’aristocratie féodale, et à l’exclusion absolue des classes bourgeoises et populaires. D’abord il y eut, à toutes les époques, un