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ces cris remplissent la campagne et s’approchent. Déjà les plus alertes des insulaires sont au pied du rocher. Les plaintes du blessé avaient cessé. Était-il mort ? avait-il fui ? Eda n’hésite plus ; elle prend son échelle, l’appuie sur la plate-forme, descend rapidement, et raconte aux premiers arrivans ce qui vient de se passer. Le brigand est blessé ; il ne peut être loin. On le cherche, et bientôt, à la lueur des torches, on aperçoit un homme couvert d’une armure, qui, comme le crabe ou le homard que la mer, en se retirant, a laissé à sec sur la plage, s’enfonçait à reculons dans une fente du rocher. Son visage est pâle et son regard menaçant ; son heaume est détaché ; les pièces de son armure sont faussées, le fer des cuissards pénètre dans les chairs, et la jambe paraît brisée ; cependant il tient toujours une hache à la main, et il semble décidé à s’en servir.

— C’est Pate Stuart, le brigand ! Il faut le prendre, s’écrie un des paysans ; et plus téméraire que les autres, qui hésitent, il s’élance sur le blessé pour le saisir. Un coup de hache, qui lui ouvre le crâne, lui prouve qu’il ne s’est pas trompé, et que c’est bien le redoutable Patrick qui est là et qui les attend.

— À mort, le brigand ! à mort, l’assassin ! s’écrient les paysans ; mais la hache saignante que le comte a relevée, les tient à distance. Ils crient, ils s’agitent, et n’osent approcher. Alors Eda leur donne l’exemple ; elle saisit un fragment de rocher et le lance à la tête du blessé ; tous l’imitent, et Patrick, qui ne peut fuir, tombe bientôt privé de sentiment. Aussitôt on lui arrache sa hache que sa main défaillante retient encore ; on l’entoure, mais non sans effroi, comme les pêcheurs de la côte entourent un cachalot échoué, qu’ils ont harponné durant tout un jour. Si Patrick, qu’ils garottent, fait un mouvement, tous songent à fuir ; mais quand le comte recouvre ses sens, il est chargé de plus de liens que les nains de Lilliput n’en couvrirent Gulliver.

— À mort ! à mort ! s’écrient toujours les paysans, et ils conduisent leur prisonnier à Lerwich pour le pendre au gibet. Dans Mainland comme en Écosse, la loi criminelle ordonnait alors que justice immédiate fût faite du meurtrier saisi au moment du meurtre, la main rouge (red hand), selon l’expression énergique du vieux code. Déjà le comte des Orcades, toujours garotté, et au cou duquel on avait attaché la hache qui lui avait servi à commettre son dernier meurtre (la loi l’ordonnait encore), était hissé sur l’échelle du gibet au milieu des hurlemens de joie des Shetlandais, qui se félicitaient hautement de se voir délivrés du tyran ; déjà le nœud fatal allait