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Patrick cependant se contente de sourire d’un air de mépris ; cette fois il n’enlèvera à ses malheureux vassaux ni leurs bestiaux, ni leur pain, ni leur argent. Il fait au pas le tour de la place, suivi de ses gens. Arrivé vis-à-vis de la porte de l’église, il s’arrête tout à coup. Son corps est immobile, son regard plonge sous le porche ; on dirait une statue équestre dressée devant l’église. Que regarde-t-il ainsi ? Qu’a-t-il vu ? — Une jeune fille est debout sous la voûte du porche. Elle est belle de la beauté du Nord : ses cheveux sont blonds, ses yeux bleus ; sa peau blanche est veinée d’azur et de rose. Elle jette du côté de la place des regards d’épouvante. Quand le cri de l’inconnu — Pate Stuart ! Pate Stuart ! — a retenti, elle s’est enfuie et s’est réfugiée à l’entrée de l’église. Le brigand n’osera sans doute pas l’en arracher ; c’est du moins ce qu’elle a pensé.

— Quelle est cette jolie fille ? demande Patrick en se tournant vers un des gens de sa suite.

— C’est la belle Eda, la fleur du Mainland.

— C’est une fleur de l’espèce de la violette ; elle est modeste et vit cachée. Je ne l’avais pas encore aperçue.

— L’été dernier Eda n’était encore qu’une enfant ; l’hiver en a fait une jeune fille.

— Et une belle fille, par saint Ringan ! s’écrie le comte.

— Oh ! oui ; une fille qui ferait oublier à un moine le vœu de chasteté.

— Si un moine s’en souvenait jamais. Mais où habite cette mystérieuse créature, cette merveille inconnue ?

— Sur le roc de Grunista, au nord de Lerwich, non loin de l’île de Brassa.

— Quoi ! sur cette pointe de rocs noirs qui s’élèvent comme une tour au-delà des plaines et des fondrières qui entourent Lerwich ! La fauvette s’est donc cachée dans le nid de l’aigle ?

— C’est que la fauvette est peureuse, et que le nid de l’aigle est si escarpé, qu’on ne peut aller l’y chercher.

— Ah vraiment ! c’est ce que nous verrons, murmura le comte, qu’échauffaient déjà les feux naissans d’une passion sauvage.

Et faisant ensuite brusquement tourner son cheval sur lui-même, il sortit de Lerwich par le même chemin qu’il avait suivi en venant, non sans avoir jeté en arrière un dernier regard sur la belle Eda.

La cour d’Écosse était lasse de la tyrannie et des dilapidations du comte des Orcades. Chaque jour de nouvelles plaintes des habitans des îles lui arrivaient, et Patrick en était toujours l’objet. Plus d’une fois les menaces du gouvernement écossais étaient venues le troubler