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tote qu’elle avait construit toutes ces sciences, qui peuvent aujourd’hui provoquer, par leur bizarre formalisme, le dédain et l’ironie, mais dont les nôtres sont cependant issues.

Je crois donc qu’au xixe siècle la France se devait à elle-même cette sorte de réhabilitation d’un génie dont elle reçut jadis tant de bienfaits, dont elle n’a jamais contesté la puissance, mais qu’elle ne peut pas encore, à l’heure qu’il est, lire dans une traduction française.

Tels sont donc les antécédens du péripatétisme parmi nous ; telles sont les circonstances où il reparaît, et les travaux parmi lesquels il vient reprendre sa place. L’étudier aujourd’hui de nouveau, c’est un acte de gratitude. Mais je crois que, de plus, notre siècle peut trouver dans cette étude une réelle utilité. Ce qui domine surtout dans Aristote, ce qui a donné à son style cette forme particulière et inimitable que vous lui connaissez, ce qui marque toutes ses paroles de cette gravité magistrale et axiomatique qui devait en faire le dominateur impérieux de l’école, c’est l’esprit de système ou, en d’autres termes, l’esprit de synthèse scientifique. Ce cachet spécial, vous le retrouverez partout le même, partout aussi vif, dans ses grandes conceptions, soit qu’elles embrassent la nature et ses innombrables phénomènes, soit qu’elles étudient l’homme et sa pensée ou les arts de sa pensée. Cette rigueur de dogmatisme a certainement contribué, non moins que ses autres qualités, à la prodigieuse fortune d’Aristote ; aujourd’hui, c’est elle encore peut-être qui nous sera la plus utile. De l’aveu même des savans, quel est de nos jours le desideratum le plus grave de la méthode scientifique ? N’est-ce pas la synthèse ? La plaie la plus dangereuse qui menace la science, n’est-ce pas cette analyse exagérée qui produit, si l’on veut, des spécialités fécondes, mais qui détruit, du moins pour le présent, l’unité de la science ? Cette direction exclusive est un fait dont tous les yeux sont aujourd’hui frappés ; je le constate, je ne le blâme point car il est possible que cette analyse, quelque disséminée qu’elle soit, quelque confuse qu’on la suppose, soit une nécessité pour ce moment et un bien pour l’avenir. Il est probable qu’elle est, même dans ses écarts, une des conditions essentielles de la future synthèse, qui ne manquera pas plus à notre siècle qu’elle n’a manqué à toutes les grandes époques de l’esprit humain. Mais, nécessaire, utile même, cette analyse ne peut point être le but de la science. L’analyse n’a de signification et de valeur réelle, qu’à la condition de la synthèse ultérieure dont elle est l’élément et le préliminaire. Je ne crois pas qu’il soit bon qu’à aucune époque, l’analyse toute seule marche sans le système ou du moins sans des essais de système général. Je sais également que la synthèse, quand elle ne s’appuie pas sur une division exacte et intelligente, est sujette à bien des erreurs, à bien des extravagances, que risque beaucoup moins la prudence un peu étroite de la méthode opposée. Je ne me porte donc point l’adversaire de l’analyse scientifique de notre époque, mais je pense qu’il est bon que dès aujourd’hui, les esprits philosophiques se préoccupent des élémens de cette nouvelle synthèse, déjà prédite par d’autres que moi, qu’amènera sans nul