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REVUE. — CHRONIQUE.

le jour où les répétitions commencent. Dès-lors on conçoit facilement combien ces transpositions sans cesse renaissantes de rôles qui changent de mains à tout propos, combien ces transpositions, ruineuses pour un théâtre, plaisent au musicien attardé. Pendant que Mme Stoltz répétait la partie de soprano, M. Halévy aura écrit son troisième acte ; le temps qu’on a dû perdre lorsque Mme Dorus est survenue, aura sans doute servi à l’enfantement du quatrième, et je soupçonne fort que M. Halévy va s’occuper de mettre la dernière main à sa partition, aujourd’hui que Mlle Falcon recommence sur de nouveaux frais de vocalisation et de mémoire. Voilà, on peut le dire, une admirable manière de composer, et qui, outre qu’elle aide plus que toute autre au recueillement indispensable dans une œuvre de conscience et d’art, a l’avantage singulier de graver la musique d’un opéra dans la mémoire de chacun. De la sorte, les indispositions ne peuvent rien sur le succès. La prima donna ne peut chanter, une autre se trouve là toute prête, qui, pour savoir le rôle aussi bien, n’a qu’à se souvenir. À voir M. Halévy prendre de si louables précautions, on peut dire que désormais, quoi qu’il advienne, Cosme de Médicis sera représenté à l’Opéra, tous les soirs où l’on ne jouera pas la Juive. En vérité, c’est là une déplorable influence que M. Halévy exerce sur la destinée de l’Opéra. Si vastes que soient les dimensions de son œuvre il est clair que sans toutes les raisons dont nous avons parlé, elle se serait depuis long-temps produite à la lumière. Il faut des gloires plus radieuses que celle de l’auteur de la Juive pour absorber en elles seules, durant six mois, la fortune et la vie d’un théâtre comme l’Opéra, et certes, il est bien temps qu’on en finisse avec ces blocs de pierre qui encombrent la place, et forcent ainsi tous les autres courans à remonter. À ce sujet, la commission royale s’est assemblée ; on parle d’un arrêt qu’elle va rendre, et grace auquel un auteur ne pourra désormais entrer en répétition, si son œuvre n’est ponctuellement achevée. Ainsi, on aura souffert que M. Halévy abusât pendant six mois du droit que lui donnait son tour, et l’arrêt entrera en vigueur lorsqu’il s’agira d’une partition de quelque musicien exact et scrupuleux, de M. Meyerbeer, par exemple, qui ne livrerait pas son œuvre, s’il y manquait une seule note. Voilà, on peut le dire, une surveillance exercée avec une prévenante intelligence. Heureusement pour l’Opéra qu’il trouve encore, dans les chefs-d’œuvre du répertoire, des ressources contre une mise en scène si lente et si laborieuse. Les Huguenots tiennent bon ; on ne se lasse pas de cette musique imposante et fière, pleine de mystérieuses beautés qui ne se laissent point prendre, mais conquérir, sous la rude écorce qui les enveloppe comme des diamans. Et c’est peut-être là, dans cette profondeur obscure au premier coup d’œil, mais qui s’illumine et se découvre à la pénétration, dans les innombrables choses qui s’y agitent confusément d’abord, puis avec ordre et mesure, qu’il faut chercher le secret de ces succès immenses de Meyerbeer, de ces succès qui durent dix ans, et résistent à toutes les épreuves. Cette musique est animée et vaste comme la mer, et cependant limpide et transparente à sa manière. Si vous ne faites que vous incliner dessus en passant, le vertige vous prend, et vous demeurez étourdi ;