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REVUE. — CHRONIQUE.

quelle voûte sonore choisir pour y chanter Mozart et Cimarosa, Rossini et Bellini ? l’Odéon, grand Dieu ! Mais mieux vaudrait pour le Théâtre-Italien rester enfoui sous les cendres de la salle Favart, que d’aller volontairement s’ensevelir dans ce sépulcre morne et silencieux qui a déjà dévoré tant de royautés. M. Crosnier offre de reconstruire la salle Favart, et ne demande pour prix des charges qu’il s’impose que le privilége du Théâtre-Italien qu’il exploitera sans subvention pendant quarante ans. Ce temps révolu, l’édifice entrera dans le domaine du gouvernement. Voilà certes une entreprise hardie. M. Crosnier semble voué au culte des ruines : il a relevé l’Opéra-Comique aboli, et le voilà maintenant qui s’attaque aux murs croulés de Favart. Prendre à des conditions pareilles l’administration du Théâtre-Italien avec les chances menaçantes dont nous avons parlé, nous semble une affaire grave et de haute responsabilité.

S’il ne s’agissait ici que d’une simple spéculation, nous n’aurions garde d’entamer la querelle ; permis à qui veut d’aventurer, comme il lui plaît, les millions dont il dispose ; mais si l’on y réfléchit, il y va bien aussi quelque peu de l’intérêt de l’art et de l’avenir de la musique en France. La fortune énorme et rapide de M. Severini a piqué au vif l’activé de tous les gens qui se mêlent de spéculations. Dans la fièvre chaude qui les pousse, ils ne tiennent compte ni du temps, ni des circonstances dont l’ancienne administration avait à profiter. On ne voit là qu’une mine d’or où l’on se rue. Et d’abord cette mine pourrait bien être moins profonde qu’on ne le croit. Chacun sait aujourd’hui que ce n’est pas seulement dans le Théâtre-Italien que M. Severini avait élevé si haut le chiffre de sa fortune. M. Severini s’occupait d’affaires de bourse et réussissait souvent. Autant à déduire du capital énorme qui soulève à l’heure qu’il est tant de prétentions ambitieuses. Si M. de Montalivet conserve toujours pour la musique cette sollicitude qu’il a si dignement témoignée à la dernière distribution des prix au Conservatoire, il se méfiera des spéculateurs et des fermiers. On ne sera point en peine, nous le savons, de reconstruire la salle, de prendre le privilége sans subvention, de l’acheter même cent mille écus, s’il le faut ; mais une fois le maître, vous verrez comme on traitera l’art, comme on fera payer à la musique les frais de son installation. On vous dira : Lablache est engagé à King’s-Théâtre, voici M. Zuchelli ou tout autre ; Rubini s’est retiré à Bergame, prenez M. Bordogni, que nous avons là sous la main ; la Malibran est morte et la Sontag ne chante plus que dans le salon de l’ambassadeur de Sardaigne à Francfort, écoutez Mme Damoreau, qui consent par grace à revenir sur le théâtre de ses premiers débuts. — N’ayez plus de Théâtre-Italien si vous croyez que le Conservatoire de la rue Bergère suffit à vos besoins, et que vos chanteurs peuvent se passer désormais de cette grande école ; mais, si vous en avez un, ne ménagez ni l’or ni les prévenances pour le public d’élite qui le fréquente ; qu’il soit, avant tout, comme par le passé, un théâtre de luxe, d’élégance et de bon goût, et, puisque vous vous êtes mis une fois sur le pied de donner le ton, en cette affaire, à toutes les autres capitales de l’Europe, renoncez-y plutôt que de