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petits airs qu’une prima donna a pris la veille, et de conter chaque matin, aux gens désœuvrés, les frémissemens des loges à certains endroits d’une cavatine, c’est là une tâche qui devient de jour en jour plus difficile. Que dire en effet des mêmes chefs-d’œuvre, exécutés par les mêmes chanteurs devant le même public. Pour nous, nous avions mieux aimé attendre une occasion, par exemple, la mise en scène de quelque opéra nouveau de Donizetti où la voix de la Persiani pût se déployer à son aise dans une partie écrite à son intention. Le talent de la Persiani, qui, depuis tantôt six ans, occupe presqu’à lui seul tout l’enthousiasme de la Scala et de San-Carlo, ne montera plus, au contraire ; il entre dans sa première période de décroissance, le travail et la fatigue ont mûri cette belle voix avant le temps. Mais quelle agilité savante ! quelle noble expression par moment ! quel souvenir de la grande école italienne ! Les éclairs de la Persiani ont fait pâlir l’astre de la Grisi. Du reste, la troupe demeure la même que par le passé, et les variations survenues à ces voix chéries du public ne valent pas la peine qu’on s’en inquiète.

Lablache est toujours cet atlas énorme qui porte un finale sur ses épaules, cependant le caractère grotesque a tellement envahi toute sa personne, qu’il n’y reste plus la moindre place pour le sérieux. Si Lablache nous en croit, il renoncera désormais aux rôles graves du répertoire. En effet, il est impossible maintenant de le regarder en face sans pouffer de rire ; son visage s’enlumine de la plus curieuse manière, sa poitrine devient de jour en jour plus vaste et plus épaisse, son ventre plus copieux, et l’on conçoit que si ces élémens de pesanteur font qu’il est sublime dans le grotesque, en revanche ils ne contribuent pas médiocrement à le rendre grotesque au plus haut degré dans le sublime. Il suffit d’avoir assisté à la dernière représentation de la Norma pour savoir s’il est possible de se contenir et de garder son sang-froid devant cette incomparable figure d’Oroveze, qui vous rappelle si singulièrement le podesta de la Gazza, le vieux marquis de Montefiascano, et tant de types de gaieté bruyante et sympathique. Le grotesque ressemble un peu au pied de cheval de Méphistophélès : une fois que vous êtes marqué de ce signe, il faut qu’il perce ; quel que soit le vêtement dont Lablache s’affuble, la robe de Moïse ou le manteau sacerdotal du grand prêtre gaulois, la casaque du bouffon se laisse toujours voir au public par-dessous, et provoque son rire intérieur aux plus beaux endroits. Je défie qu’on regarde la couronne de chêne dont le joyeux compère imagine de se ceindre les tempes dans Norma, sans penser aussitôt à ce ruban singulier qui fixe une coiffe extravagante sur le crâne du bonhomme Geronimo. Tamburini n’a rien perdu de son agilité merveilleuse et de cette expression à la fois aimable et monotone qui répand un certain air de ressemblance sur presque toutes les cantilènes qu’il affectionne. La Grisi, malgré l’embonpoint singulier qui s’épanouit autour d’elle, gazouille aussi agréablement que jamais, et fredonne, avec une gentillesse inexprimable, le joli rôle de Desdemona, où la Malibran avait la prétention de vouloir être sublime. Quant à Rubini, l’état