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il faut avoir appris dans l’étude de maîtres la valeur et l’importance de l’harmonie linéaire. Telle combinaison de lignes, qui frappera d’admiration un esprit exercé, passera inaperçue devant les yeux d’un peintre inexpérimenté. Pour rendre à M. Huet pleine et entière justice, nous devons dire qu’il s’applique constamment à combiner les divers plans de ses tableaux selon les lois de l’harmonie linéaire. S’il lui arrive de rencontrer dans la nature réelle un paysage dont les premiers plans ne se marient pas heureusement avec les plans plus éloignés du spectateur, il n’hésite pas à corriger son modèle, à modifier les ondulations du terrain, à changer la ligne de l’horizon, selon les besoins de la composition qu’il projette. Cette application de la volonté n’a rien d’arbitraire, rien de capricieux ; la qualifier ainsi serait se méprendre étrangement. L’harmonie linéaire est une des parties les plus importantes du paysage non-seulement parce qu’elle plaît à l’œil, mais encore parce qu’elle mène sûrement à l’unité ; elle ne joue pas un rôle moins sérieux que la distribution de la lumière. Il faut savoir gré à M. Huet d’avoir compris et mis en œuvre cette vérité si souvent méconnue par les paysagistes de nos jours. C’est par là surtout qu’il se sépare de l’école réelle ; c’est par l’harmonie linéaire qu’il la domine et doit prochainement, nous l’espérons, conquérir la popularité qu’il mérite. Grace à l’intelligence et à l’application de cette vérité, il n’a pas besoin du ciel d’Italie pour produire des œuvres grandes et simples, pour étonner, pour charmer nos regards ; les paysages qui, copiés littéralement par l’école réelle, n’offriraient qu’un spectacle dénué d’intérêt, deviennent entre ses mains riches de grandeur et de simplicité. Il les modifie, il les transforme sans les dénaturer ; il saisit l’heure où ils se présentent sous l’aspect le plus heureux, où la lumière efface, en les dévorant, les contours singuliers ; et, à l’exemple de la lumière, il simplifie ce qui était bizarre, il agrandit ce qui était mesquin. La pratique d’un tel procédé peut être conseillée plutôt que prescrite ; car toutes les intelligences ne sont pas de force à deviner, à réaliser l’harmonie linéaire.

Ce qui manque à M. Huet, c’est la précision des contours. Malgré la couleur éclatante, malgré l’harmonie linéaire de ses compositions, il n’a pas réussi selon la mesure de son mérite, il n’a pas été applaudi autant qu’il devait l’être. Pourquoi ? sinon parce que les contours de chacun des morceaux qu’il dessine ne sont pas arrêtés avec assez de précision. Tout entier au choix des tons, à l’ordonnance des lignes, il oublie la netteté, si nécessaire à l’intelligence de tous les élémens d’un tableau. Ce défaut de précision s’explique naturellement par la sécheresse et la dureté de l’école réelle. Cette école, en effet, dans le désir de reproduire littéralement la nature qui pose devant elle, n’omet aucun des détails qu’elle aperçoit ; elle transcrit, comme un greffier, tout ce qui frappe ses regards, et cette fidélité scrupuleuse la conduit presque toujours à la sécheresse. Son ambition est d’étonner la curiosité la plus patiente par l’infinie variété de son savoir, et de résister même à l’œil armé de la loupe. Une fois engagée dans cette voie, il est à peu