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cuntur christiani. Je ne puis croire que considérer ainsi le christianisme, ce soit le méconnaître. Au lieu de le rencontrer isolé, et sur un point unique de la terre, on le voit par degrés surgir du sein de tous les cultes. Son Dieu n’est plus la propriété d’une tribu, mais l’héritage du monde. Partout où s’établit une société, il y compte des envoyés et des représentans ; chaque empire est son prophète ; chaque peuple écrit une page de son ancien testament ; et c’est dans ce sens qu’il peut justement et éternellement s’appeler le Dieu universel ou catholique.

Cette unité du dogme de l’humanité explique aussi pourquoi les premiers chrétiens ont compté quelques poètes païens au nombre des précurseurs de l’Évangile. Orphée, Virgile, ont passé au moyen-âge pour de véritables prophètes. On sait par quels changemens les sibylles sont devenues des personnages tout chrétiens, et comment Michel-Ange a pu les introniser dans la chapelle de la papauté. Pendant les premiers siècles de l’église, que de fois les oracles profanes n’ont-il pas été appliqués au Dieu nouveau ! Témoin David et la Sibylle, ces paroles du dies iræ font encore aujourd’hui partie de la liturgie catholique. Dans un des hymnes de saint Bernard, on trouve ces mots non moins expressifs : Si les Juifs ne croient pas leurs prophètes, qu’ils croient du moins les prédictions de la sibylle ! Étendez et réglez la pensée vague du moyen-âge ; Pindare, Eschyle, Sophocle, enfans du Dieu de l’humanité, seront reconnus pour frères d’Isaïe, de Daniel et d’Ézéchiel.

Dans ce sens, Prométhée est le prophète du Christ au sein de l’antiquité grecque. Le Dieu que les voyans hébreux annonçaient à l’Orient, il le prédisait à l’Occident. Le même christianisme qui devait plus tard se développer par l’alliance de l’Évangile et de Platon, se révèle d’abord dans la haute antiquité par la bouche des prophètes et par celle de Prométhée ; le Titan se rencontre ici avec les patriarches.

Prométhée est la figure de l’humanité religieuse. Mais il n’a pas seulement ce caractère historique ; il renferme le drame intérieur de Dieu et de l’homme, de la foi et du doute, du créateur et de la créature ; et c’est par là que cette tradition s’applique à tous les temps, et que ce drame divin ne finira jamais. On a beau échapper aux pensées qu’il contient ; sous une forme ou sous une autre, elles reviennent incessamment, et sont, pour ainsi dire, l’élément éternellement subsistant de toute poésie. Quelles que soient les occupations d’un siècle, l’ardeur des intérêts du présent, le conflit des doctrines, la