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LETTRE À M. LERMINIER.

empreintes d’un esprit de douceur et d’équité inconnu auparavant, les merveilleuses conquêtes de l’homme sur la nature, fruit de la science et des applications de la science ; l’accroissement du bien-être public et individuel ; en un mot, l’ensemble des biens qui élèvent notre civilisation si fort au-dessus de la civilisation antique, et de celle des peuples que l’Évangile n’a point encore éclairés. » Nous ne nions pas que M. de La Mennais ne fasse dans l’histoire une part trop belle au christianisme, en lui attribuant exclusivement tous ces grands résultats ; mais il n’en est pas moins vrai qu’il ne voit dans notre organisation sociale qu’un mal relatif qui y existe en effet. Et d’ailleurs, il est bien évident que l’homme qui croirait au règne absolu du mal, n’annoncerait pas l’amélioration et le perfectionnement de toutes choses dans l’avenir, et ne prêcherait pas à l’humanité la doctrine du progrès indéfini. Quant à l’acception que M. de La Mennais a donnée à la parole chrétienne, peut-être n’est-elle pas aussi détournée qu’elle le paraît au premier abord : Jésus n’a pas dit explicitement, il est vrai, que l’humanité devait arriver au bonheur sur cette terre, mais il l’a dit implicitement lorsqu’il a enseigné à tous les hommes en général et à chacun en particulier la nécessité du devoir. De ce que chacun accomplit absolument envers autrui, non seulement le devoir, mais encore la charité, il s’ensuit nécessairement que chacun, dans le milieu qu’il occupe, se trouve environné de justice et d’amour, et voit son droit se développer en toute liberté. En ordonnant de ne pas faire aux autres ce qu’on ne voudrait pas qui vous fût fait à vous-même, le Christ a recommandé, par un enchaînement indestructible de conséquences, de faire aux autres ce qu’on voudrait qui vous fût fait à vous-même. Et n’est-ce pas là, en deux mots, le résumé de la situation la plus heureuse que l’homme puisse trouver ici-bas ?

Nous savons que la morale actuelle du christianisme condamne presque toutes les choses qui peuvent servir au bonheur matériel de l’homme. Mais M. de La Mennais, vous le proclamez vous-même, a déjà anathématisé les deux grandes formules actuelles du christianisme, qui sont le catholicisme et le protestantisme, et il ne prend plus pour code que le texte même de la loi promulguée par le maître, laissant de côté les commentaires et les développemens de ceux qui se sont posés comme des continuateurs immédiats.

C’est même là-dessus que vous vous basez pour lui demander la formule philosophique de ce que vous appelez son néo-christianisme, et l’application politique qu’il en doit tirer. À cela il n’y a qu’une