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plus fortement que la bourgeoisie, maîtresse à son tour du gouvernement tout entier, n’en cédera au peuple que ce que celui-ci lui en pourra arracher. Le pouvoir politique est comme une ville forte, fermée de toutes parts, où l’on n’entre jamais que d’assaut.

Maintenant, revenant un peu sur nos pas, nous vous ferons remarquer la différence que nous croyons apercevoir entre les résultats des deux révolutions que vous avez rappelées. Nous reconnaissons bien avec vous que la révolution communale du xiie siècle a constitué la bourgeoisie, non pas complètement, il est vrai que la bourgeoisie restait encore inférieure à la royauté, à la noblesse et au clergé, mais du moins solidement, sous le rapport civil et sous le rapport politique, puisqu’elle fit à la fois garantir ses droits individuels et reconnaître ses droits gouvernementaux en une certaine mesure. C’est sur la révolution générale du xviiie siècle que nous tombons en désaccord. La convention avait, il est vrai, constitué le peuple à la fois sous le rapport civil et sous le rapport politique, et lui avait fait sa juste part dans la vie générale. Mais de cela qu’est-il resté ? Une charte qui déclare que tous les Français sont égaux devant la loi, et qui ne reconnaît comme ayant droit à une influence et à une participation quelconque dans le gouvernement, que deux cent mille citoyens, sur les trente-quatre millions qui composent la société français. D’où il suit qu’en résultat, la révolution du xviiie siècle n’a été, politiquement parlant, que le développement et le complément de celle du xiie, puisqu’elle a mis tout entier entre les mains de la bourgeoisie le gouvernement dont celle-ci avait déjà conquis une partie, et qu’elle n’a constitué le peuple que sous le rapport civil, et non sous le rapport politique.

Ensuite est-il vrai que la puissance ait toujours été le prix de l’intelligence et du travail ? Les longues files de rois imbéciles et paresseux qui se succèdent dans toutes les monarchies absolues, la domination des conquérans sur les peuples conquis, l’énorme prépondérance de toutes les inutiles et ignorantes aristocraties qui se dressent encore de toutes parts au-dessus des populations laborieuses, ne relèguent-elles pas votre assertion au rang des paradoxes ?

Nous arrivons à cette heure au côté pratique de la question.

« M. de La Mennais, entraîné par de nobles passions, veut-il, du sein de l’extrême misère, pousser le peuple à l’extrême grandeur ? Veut-il lui faire exclusivement gouverner la société ? Nie-t-il la souveraineté de l’intelligence et la nécessité de son intervention dans la fondation du droit social ? »